L'Héritage des Cathares
libérai mes chevilles.
— Aide-moi à sortir, ordonnai-je.
Elle m’empoigna les mains et, de peine et de misère, me hissa hors de la fosse. Je me laissai tomber à genoux, haletant. Respirant l’air à grandes goulées, je repris peu à peu mes esprits. Je me retournai vers elle et la reconnus. Sensiblement du même âge que moi, elle était la fille cadette du sabotier de Rossal, dont la femme avait tant enfanté qu’il avait du mal à tenir le compte de ses rejetons et peinait tout autant à les nourrir.
— Tu es Pernelle, non ?
Elle hocha la tête en souriant, ravie que le fils du seigneur connaisse son nom. La nature n’avait guère été tendre à l’endroit de la pauvresse. Elle boitait de la jambe gauche et traînait le pied en marchant. Ses dents étaient gâtées et inégales et son visage était piqué des cicatrices de la vérole à laquelle elle avait survécu. Ses hardes étaient souillées et usées jusqu’à la corde. Maigre comme un roseau, elle faisait partie du décor du village depuis ma tendre enfance sans que je me sois vraiment arrêté à sa personne. Au fond, je ne l’avais jamais vraiment regardée et ce que je voyais maintenant me surprit. Malgré ses imperfections, il émanait d’elle une bonté simple et sincère qui me troublait et me donnait envie de me confier. Les rayons du soleil faisaient briller ses beaux cheveux blonds, auxquels ils donnaient l’allure du halo d’un ange. Ses yeux, d’un vert foncé et profond, dégageaient une grande chaleur. Son sourire franc forçait le mien et faisait naître de mignonnes fossettes sur ses joues. Étrangement, elle me paraissait soudain radieuse et je me sentis empli d’une sérénité que je n’avais jamais ressentie auparavant.
— Comment t’es-tu retrouvé dans ce trou ? demanda-t-elle.
La question fut suivie d’un petit rire cristallin qui m’atteignit
droit au cœur, bien que tous mes membres frémissent encore de la peur que j’avais ressentie, seul avec la mort dans la fosse. Je m’assis et lui souris presque malgré moi. Tout naturellement, comme si je l’avais toujours connue, je lui racontai mon aventure. Le calme me revint à mesure que les mots s’enfilaient.
— Ces marauds me tourmentent sans cesse, moi aussi, déplora-t-elle, lorsque j’eus terminé. Parce que je suis laide et boiteuse, tout simplement. Mais toi, tout le village te craint. On dit que tu portes malheur.
— Je sais, fis-je, un peu penaud.
— Peuh ! Ce ne sont que des âneries. Tu as bien plus l’air d’un chaton abandonné que d’un suppôt de Satan !
Elle m’observait sans gêne et me donnait le sentiment étrange d’être une bête à vendre.
— Tiens, je crois que je vais t’adopter, dit-elle.
— M’adopter ? Sache que je ne suis pas un animal, répondis-je un peu vexé. Je suis le fils du seigneur et.
— J’entendais simplement faire de toi mon ami, s’esclaffa-t-elle. Sauf erreur, on ne se bouscule pas pour le devenir. Au contraire, on te jette dans des oubliettes en pleine forêt. À moins que tu ne préfères rester seul, évidemment.
Je souris malgré moi. Cette fille m’intriguait. Je sentis tout à coup une étrange chaleur me remplir la poitrine et mon cœur se mit à battre un peu plus fort. Jamais encore je n’avais connu le simple plaisir d’être avec quelqu’un de mon âge sans me sentir méprisé ou rejeté.
— Tu. tu ne crains pas que. qu’on.
— Qu’on se méfie de moi aussi ? compléta Pernelle en éclatant de rire. Peuh ! Qu’on le fasse ! De toute façon, on ne s’adresse jamais à moi sinon pour me couvrir de ridicule. Je ne peux guère risquer pire. De ton côté, on t’évite et on te craint. Alors, joignons nos solitudes. Qu’en dis-tu ?
Je souris malgré moi et lui tendis la main, qu’elle attrapa et serra avec enthousiasme.
— Pourquoi pas ?
— Fort bien ! Affaire conclue ! Nous sommes amis ! Là où le ruisseau forme un petit étang. Tu connais l’endroit ? Si tu veux, on s’y retrouve demain à cette heure.
J’acceptai avec enthousiasme. Nous retournâmes ensemble à Rossal et nous séparâmes avec un sourire. Je la regardai s’éloigner, clopin-clopant, puis pris le chemin du manoir, le cœur étrangement léger malgré l’aventure éprouvante que je venais de vivre. Ce jour-là, la Lumière entra dans ma vie en la personne de Pernelle et l’illumina comme jamais auparavant. Je
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