L'Héritage des Cathares
l’endurance. S’infligeant à lui-même le traitement qu’il m’avait imposé jadis, il terminait chaque exercice le visage livide et le souffle court, mais il était visiblement heureux. Après quelques semaines de ce régime, il retrouva tous ses moyens, ce qui ravit Pernelle. Pour bien le prouver, il se permit de donner une mémorable leçon à ce pauvre Ugolin qui, décidément, semblait condamné à faire les frais du retour en forme des blessés. Le géant prit d’ailleurs la chose avec bonhomie, s’esclaffant alors que la pointe de l’épée de Montbard était appuyée sur sa gorge. Par la suite, mon maître le prit sous son aile et travailla régulièrement avec lui pour améliorer sa technique. Ce fut la naissance d’une solide complicité qui ne se démentit ensuite jamais.
Par un matin d’avril, nous reçûmes des nouvelles de la forteresse de Bram sous une forme que je n’oublierai jamais. Un cri d’alerte retentit de la muraille. Je sortis du lit à toute vitesse et, chaussé, mais torse nu, j’accourus auprès des gardes. Derrière moi surgirent Pierre Roger, Landric, Ugolin et Montbard, qui s’était tout naturellement insinué dans notre petit groupe de décideurs.
— Que se passe-t-il ? demandai-je, alarmé.
— Là, fit une des sentinelles en désignant l’horizon.
Je plissai les yeux. Au loin, dans la brume du matin, je pouvais apercevoir une colonne de silhouettes zigzaguant dans la plaine, au pied de la montagne, sur le point de s’engager dans le chemin qui conduisait à la forteresse.
— Ils ont un bien drôle de comportement, remarqua Pierre Roger. Et que font-ils à pied ? Des croisés, tu crois ?
— S’il s’agit de croisés, ils ne sont guère menaçants.
— Il pourrait s’agir d’une ruse.
— Il n’y a qu’une façon d’en avoir le cœur net, rétorquai-je. Landric, assemble une trentaine d’hommes en armes.
Je me retournai vers Montbard.
— Cette cause n’est pas la vôtre, maître, mais je serais heureux de vous avoir à nouveau sur ma droite.
— Sans moi, qui sait quelle gaffe tu commettras ?
Cinq minutes plus tard, la petite troupe était dans la cour, montée et en armes. Sur ma droite se tenait Bertrand de Montbard, visiblement heureux de retrouver enfin l’action pour laquelle il était né. Sur ma gauche se trouvaient Landric et Ugolin. Je songeai avec fierté que jamais chevalier n’avait été mieux entouré. Je claquai la langue et Sauvage se mit en route, entraînant les autres. Nous descendîmes le sentier étroit qui menait dans la plaine. Arrivé en bas, j’ordonnai la halte.
— Ils sont là-bas, observa Landric, perplexe. Ils ont l’air complètement saouls.
Je me retournai sur ma selle et toisai mes hommes. Ils étaient prêts et je leur faisais entièrement confiance.
— Arme au clair ! ordonnai-je.
Trente épées furent tirées à l’unisson par des bras solides et scintillèrent dans le soleil.
— En avant ! Et pas de quartier !
Nous fonçâmes au galop vers les étrangers, qui se trouvaient à moins d’un quart de lieue de nous. À pleine vitesse, nous eûmes vite fait de franchir la distance. À notre approche, ils se blottirent les uns contre les autres comme des faons terrifiés et je levai la main pour restreindre l’ardeur de mes hommes. De toute évidence, les nouveaux venus ne présentaient aucune menace. Nous nous approchâmes encore un peu et, lorsque je parvins à la hauteur du petit groupe, ce que je vis hantera mon sommeil jusqu’à mon dernier souffle.
Ils étaient une centaine d’hommes. Une procession d’êtres gémissants et effrayés vêtus de robes noires. Des Parfaits. Certains portaient des sandales. Les autres avaient la plante des pieds sanglante à force d’avoir marché. Tous étaient crasseux et couverts de poussière. Ils se tenaient les uns derrière les autres, chacun ayant la main posée sur l’épaule de celui qui le précédait. Puis je vis leur visage. Ou ce qu’il en restait sous l’épaisse croûte de sang séché. On leur avait tranché le nez et la lèvre supérieure, figeant leur expression en un affreux rictus. On leur avait aussi arraché les yeux et leurs paupières se refermaient sur des orbites vides. Seul celui qui ouvrait la marche avait encore un œil. Un seul. C’était lui qui avait guidé les autres. Alertés par les pas de Sauvage, ils tournaient vers moi un visage anxieux.
— Par
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