L'Héritage des Cathares
nous réduire à cet état. Pendant qu’on nous tranchait la face et qu’on nous arrachait les yeux, les prêtres qui l’accompagnaient chantaient et rendaient grâce à Dieu !
Il fit une nouvelle pause pour reprendre son souffle.
— Il m’avait gardé pour la fin. Lorsque le soldat s’est approché de moi, la lame de son couteau ruisselait encore du sang de mes pauvres frères. Montfort lui a ordonné d’épargner un de mes yeux, car il fallait bien quelqu’un pour guider les autres.
Il but à nouveau et les tristes vestiges de son visage se crispèrent de douleur.
— Ensuite, il nous a fait mener à l’extérieur du castel avec instruction de nous rendre à Cabaret. Nous avons marché sans eau ni nourriture pendant des jours. Avant de refermer derrière nous, il m’a chargé d’un message pour ceux qui l’ont humilié.
— Parle.
— Il a dit que jusqu’à ce que Cabaret se rende, que ses chefs se livrent à lui et qu’on lui remette son cousin sain et sauf, les cathares seront traités ainsi. Et que plus vous tarderiez, pire ce serait.
Je fermai les yeux, désespéré. Comme je l’avais soupçonné, notre victoire se révélait bien courte. Elle n’avait fait qu’attiser la haine de Simon de Montfort et nos embuscades avaient empiré les choses. L’homme n’aurait pas de repos jusqu’à ce que son humiliation soit vengée. J’en avais devant moi cent preuves irréfutables. À cause de notre modeste succès, des gens souffriraient. À cause de moi. Ces caractéristiques, tu les as laissées mener ta vie et c’est le pire en toi qui t’a conduit ici. Maintenant, tu devras mettre ton bras au service du Bien. Était-ce là ce que Dieu et son archange concevaient comme le Bien ? Comment pouvaient-ils justifier le martyre de ces innocents au nom de leur maudite Vérité ? Ma sentence exigeait-elle vraiment que je cause tant de Mal ? Je me sentais révolté et, en même temps, pour une rare fois, je me trouvais ému du sort des autres. Il reste en toi une étincelle de bonté, une nature profonde qui mérite d’être sauvé. Ton âme est noire comme la nuit, Gondemar de Rossal. À toi d’apprendre à voir la lumière. Étais-je en train de laisser la lumière pénétrer en moi ? De trouver ma rédemption ?
— Repose-toi, mon pauvre ami, chuchotai-je d’une voix tremblante d’émotion. Tu as assez souffert.
Vivian ne dit rien. Une larme amère coula du seul œil qui lui restait. Je me demandai s’il pleurait pour lui-même ou pour ses frères. À court de mots, je lui posai une main sur l’épaule et la serrai doucement. Puis je sortis pour aller faire rapport de ce que j’avais appris à Pierre Roger.
Quelques semaines après l’arrivée des Parfaits de Bram, dont une moitié à peine avaient survécu à leurs blessures, nous eûmes vent de l’arrivée des renforts tant attendus par Montfort. L’ennemi était désormais beaucoup plus nombreux que nous, reposé et affamé de sang. Leur chef avait eu le temps de connaître le pays de fond en comble. À compter de ce moment, les choses ne pouvaient aller qu’en empirant.
Nous avions à peine eu le temps de digérer l’information lorsqu’un autre messager nous annonça que Guilhabert de Castres, un des Parfaits les plus influents, ordonnait à tous les autres Parfaits de se mettre en route, sans attendre et dans le plus grand secret, vers les Pyrénées, à l’extrême sud du pays. Là, ils devaient trouver refuge dans la forteresse de Montségur. Depuis 1204, m’apprit Raymond Roger, un croyant, le chevalier Raymond de Pereille, fils et gendre de Parfaite, avait travaillé sans relâche à en renforcer les fortifications. Située au sommet d’un pic à plus de six cents toises d’altitude, elle était désormais imprenable. Dans le pire des cas, elle tiendrait lieu d’ultime bastion de l’hérésie.
Les Parfaits de Cabaret devaient partir comme les autres. Dès le lendemain, m’ordonna Pierre Roger, je devais prendre la tête d’un convoi vers Montségur. Je fus chargé de voir aux préparatifs et d’en faire l’annonce, ce que j’accomplis à mon corps défendant. Comme je m’y attendais, Pernelle s’enflamma et entra dans une colère aux dimensions évangéliques. Les poings sur les hanches, dressée sur la pointe des pieds pour être en mesure de me cracher ses opinions au visage, elle refusa net.
— Abandonner mes malades ? s’écria-t-elle, écarlate d’indignation. Tu
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