L'histoire secrète des dalaï-lamas
autre sujet sensible. Commencée en 1950 avec l’invasion, elle n’a jamais cessé depuis. Cependant, elle a connu des périodes plus fortes et sensibles que d’autres. Une des plus marquantes commence en 1966... Le 16 mai, Mao Zedong lance le signal de la Grande Révolution culturelle prolétarienne. Chen Boda, son secrétaire, en prend la tête. Il a à ses côtés, Jiang Qing [434] , quatrième épouse du président chinois, et Kang Sheng [435] , le redoutable patron du tewu.
Chen Boda et son équipe ont à leur disposition trois instruments de propagande : le Drapeau Rouge , revue du Parti dirigée par Jiang Qing ; les dezibaos [*] , affiches à gros caractères, dont la première série sera placardée le 25 mai 1966 sur les murs de l’Université de Pékin et publiée dans le Quotidien du Peuple, Renmin Ribao ; enfin, le Petit Livre rouge , le livre de Mao Zedong, dont les deux cent soixante-dix pages, savamment concoctées par Chen Boda et Kang Sheng [436] , les dix centimètres de longueur et sept de largeur pour un poids de soixante-dix grammes, vont devenir un best-seller mondial. Il s’agit pour les nouveaux révolutionnaires chinois de faire la chasse aux quatre vieilleries que sont la pensée ancienne, la culture ancienne, les coutumes anciennes et les moeurs anciennes.
Sur l’estrade, le matin du 18 août 1966, Mao Zedong est entouré de Jiang Qing, Lin Biao, Zhou Enlai, Chen Boda, Kang Sheng et Wang Dongxing [437] , chef de l’unité spéciale 8341 et vice-ministre du Gonganbu [*] , unité d’élite chargée notamment de la protection des hauts dignitaires du parti [438] .
Un million de gardes rouges s’apprêtent à déferler sur la Chine. Dont certains font leur apparition à Lhassa dès ce 18 août 1966. Évidemment, ce ne sont pas des Chinois qui, ce matin-là, occupèrent la capitale tibétaine ! Or à Lhassa, à Shigatsé, à Gyantsé, partout où ils passent, les gardes rouges terrorisent, violent, torturent, tuent. Les populations subissent d’interminables séances de rééducation. Le temple du Jokhang est transformé en baraquement pour soldats d’un côté, en abattoir d’un autre, plus une partie servant de pissotières. Le Norbulingka est entièrement détruit. Mais, lorsque les hordes rouges se présentent devant le Potala, elles se heurtent aux soldats de l’Armée populaire de libération, hostiles à cette révolution culturelle : une chance, Zhou Enlai leur donne l’ordre de sauver la résidence d’hiver des dalaï-lamas.
L’histoire de la collaboration a traversé les siècles et touché l’humanité tout entière. Elle a existé partout où il y eut des conflits. Les Tibétains ne font donc pas exception. Mais, sur certaines périodes de l’occupation chinoise au Tibet, il existe des zones d’ombre. Que ce soit en Chine, au Tibet ou en exil, le silence est d’or dès lors qu’il s’agit d’aborder les années sanglantes de la Grande Révolution culturelle prolétarienne [439] . Même le dalaï-lama semble avoir occulté cette époque.
Il ne s’agit pas ici d’exonérer les maoïstes chinois de leurs forfaitures. Mais si un Tibétain sur cinq va disparaître entre les années 1966 et 1976, force est d’admettre que d’autres Tibétains, au nom de la Grande Révolution culturelle prolétarienne , ont assassiné des milliers de leurs compatriotes, ont achevé la destruction des monastères et des temples bouddhistes et bönpos commencée par les soldats de l’Armée populaire de libération [440] .
En 2009, les mémoires sont encore remplies de ces drames. Pas une famille, pas un clan n’a été épargné. De l’exil ou de l’intérieur, pesants sont les silences, gênés sont les regards. Plus de quarante ans ont passé et le dalaï-lama reste, là encore, muré dans le silence, évitant toutes les questions qui touchent aux enfants du Tibet devenus les bras armés des maoïstes entre 1966 et 1976.
Qui sont-ils, ces enfants de la honte ?
En 1951, alors qu’une délégation tibétaine signait, à Pékin, l' Accord en 17 points , les soldats chinois de l’ALP enlevaient dans l’Est tibétain des enfants par centaines. Si, au tout début, ils s’en prenaient aux jeunes de huit à quinze ans, ils se sont rapidement intéressés aux nourrissons. Plusieurs milliers d’enfants, dans les hameaux, les villages et les campements de nomades, ont été enlevés à leurs parents. Transportés en Chine, ceux qui ont survécu aux voyages – sous
Weitere Kostenlose Bücher