L'histoire secrète des dalaï-lamas
populaire de libération s’employèrent à vulgariser le tabac, de même que l’alcool fort.
Les châtiments réservés aux populations tibétaines sont dénoncés dans les Soixante-dix mille Caractères. Le panchen-lama évoque, entre autres supplices, les avortements forcés, commencés en 1955 dans certaines parties bien précises du Qinghai. Mais, dès 1960, après l’échec du soulèvement de Lhassa, ils deviennent monnaie courante sur l’ensemble du territoire. Les autorités d’occupation ont alors commencé à déconseiller le mariage aux hommes de moins de trente ans et aux Tibétaines de moins de vingt-cinq ans. Tout en encourageant à tout-va les mariages mixtes tibéto-chinois.
Il faut aussi parler des stérilisations forcées. Dans les villages et les campements tibétains, les Chinois regroupent les jeunes filles et, parfois, toutes les femmes en âge de procréer sur la place. Là se dresse une tente médicale. Les spécialistes chinois stérilisent en masse de douze à quarante-cinq ans et on pratique des avortements jusqu’à huit mois et demi de grossesse. Sous le regard de militaires armés. Après l’intervention, les volontaires reçoivent des soins. Mais, pour les récalcitrantes, aucune précaution. Les foetus sont entassés à l’entrée de la tente. Contrôles continuels, fouille des maisons, rien n’est épargné aux populations. Toutes les grossesses doivent être déclarées. Quand les médecins chinois estiment la famille rebelle aux consignes du Parti, ils stérilisent et avortent de force. Bien sûr, ceux-ci sont grassement payés et reçoivent des primes de rendement calculées sur le nombre d’interventions...
Un texte choc
Le panchen-lama a passé des jours et des nuits à écrire ce lourd réquisitoire. Hormis ses rencontres, obligatoires, avec Chen Yi, le ministre des Affaires étrangères, et quelques autres maréchaux de l’Armée populaire de libération, il évite toute activité. Cependant, au début de l’année 1962, Choekyi Gyaltsen a inspecté les provinces du Qinghai, du Sichuan et du Yunnan, puis s’est rendu dans celles de Gansu et Xinjiang, afin de constater que les instructions du pouvoir central sont le plus souvent détournées à des fins personnelles. Et de tirer cet autre bilan : depuis 1959, l’administration tibétaine a été épurée, tous ses cadres sont désormais membres du Parti communiste chinois.
Les Soixante-dix mille Caractères , en mandarin, sont étrangement réapparus en 1996 à Dharamsala [431] . On peut s’interroger, en effet, sur les raisons de cette soudaine exhumation, en plein conflit entre Pékin et le dalaï-lama sur l’affaire du onzième panchen-lama. Ce document est en tout cas la preuve irréfutable que, à Pékin, Choekyi Gyaltsen n’a cessé de braver le pouvoir central. En le présentant au symposium, le panchen-lama savait qu’il signait son arrêt de mort. Certes, il s’en est entretenu avec Chen Yi, lui confiant l’importance de ce texte : « C’est une lourde tâche, lui avait dit Choekyi Gyaltsen, que de construire une passerelle sur laquelle les gens puissent aller et venir, car il nous faut nous-mêmes souffrir et porter ce fardeau [432] . »
Conscient de ce qui l’attend, le panchen-lama a évoqué, à plusieurs reprises, son travail avec Zhou Enlai. En 1962, le panchen-lama a tout juste vingt-quatre ans et la qualité de ses Soixante-dix mille Caractères étonne le Premier ministre chinois. Lors d’un de leurs derniers entretiens à Pékin, Zhou Enlai lui dit : « Vous avez su rédiger ce document en un temps record. C’est une performance exceptionnelle. » Zhou Enlai se montre aussi agacé : « Vous êtes parvenu à unifier nos points de vue sur les classes sociales, les nationalités, le patriotisme et le peuple. Notre politique est la suivante : nous devons éliminer les agissements contre-révolutionnaires et corriger les erreurs du passé. S’il y a une rébellion quelque part, nous devons la mater sans réfléchir. » Puis, il met le panchen-lama en garde : « L’écrasement des rebelles et les réformes ont jusqu’ici sauvé la religion et la race tibétaines qui étaient sur le point de disparaître... J’espère que vous allez pouvoir proposer des moyens pour améliorer l’agriculture, l’élevage et le commerce en appliquant nos méthodes, qui ont porté leurs fruits dans d’autres régions de la Chine... ». Enfin, le Premier ministre chinois conclut
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