L'histoire secrète des dalaï-lamas
retrouve enfin sa demeure de Shugrilingka, il a de nombreux puzzles à reconstituer dans son histoire et celle de son pays.
Dix-huit ans se sont écoulés depuis son exil forcé en Chine. Toutefois, instruit par cette longue expérience, le panchen-lama se garde bien de donner le moindre détail sur la manière dont il entend procéder. Il en réserve la surprise au Parti communiste chinois et au pouvoir central. Le 6 juillet 1982, devant plus de vingt mille Tibétains venus l’accueillir dans le temple du Jokhang, Choekyi Gyaltsen prononce un vibrant hommage à son pays et à son peuple. Quelques jours plus tard, le voilà qui s’adresse à nouveau sans mâcher ses mots à une foule rassemblée devant lui, dans un discours où il fait l’apologie de la jeunesse et de l’éducation : « Le Tibet est ma terre natale (...) Je n’ai pas vécu ici ces dix-huit dernières années, mais mon coeur a toujours battu à l’unisson avec celui du peuple tibétain. » Puis il s’adresse aux plus jeunes des trente mille Lhassapas venus l’écouter afin qu’ils préservent la culture tibétaine, qu’ils la fassent progresser, afin que « la nation tibétaine prenne place parmi les nations évoluées [469] ».
Le 24 juillet 1982, le monastère de Tashilhunpo, siège abbatial des panchen-lamas, lui ouvre les bras... Il a quitté Lhassa au lever du jour. Les Chinois qui l’accompagnent restent à bonne distance.
Le convoi officiel atteint les faubourgs de Shigatsé. Le panchen-lama sait qu’il approche de sa destination en voyant la circulation de plus en plus dense. Des bus transportant du public se rangent sur les côtés pour permettre à la voiture du maître, une énorme berline dorée arborant, d’un côté, le fanion de la République populaire de Chine et, de l’autre, les armoiries de Tashilhunpo, et à deux limousines de hautes personnalités chinoises, de les dépasser dans un grand charivari de joie et de prières.
Pour le panchen-lama, Shigatsé s’est mis sur son trente et un. Mais Choekyi Gyaltsen n’est pas dupe. Familier des cérémonies de masse, Pékin a orchestré son retour à la perfection. Les militaires indiquent à la foule où se placer en l’abreuvant de consignes et de menaces.
Shigatsé traversée, le convoi roule bientôt à travers la vallée menant au monastère de Tashilhunpo, où cinq cents moines attendent leur guide spirituel non sans une certaine appréhension...
La cour, divisée en plusieurs enclos entourés de piquets et de barrières, se trouve sous haute surveillance de l’armée et des services secrets chinois.
Sur une estrade, on a placé le trône en or du panchen-lama et des sièges de trois sortes : rembourrés avec des bras, rembourrés sans bras et en métal, réservés au conseil des khenpos, aux personnalités de la région et aux représentants de Pékin venus en force.
Chacun retient son souffle. Le convoi est annoncé à l’entrée du monastère. Partout, des militaires équipés de fusils d’assaut AK-47. Un technicien grimpe sur l’estrade pour vérifier la sonorisation. Les haut-parleurs grésillent. La vingtaine d’officiels peut enfin s’installer.
Sous les ovations, Choekyi Gyaltsen rejoint son trône en or. Mais, dans la foule, on entend que le panchen-lama doit se démettre. Son pouvoir, disent-ils, est usurpé ! Qui profère de telles accusations ? Une poignée de religieux du conseil des khenpos passés au service du PCC, quelques nantis jouissant d’un confort qui contraste avec la misère du peuple.
Choekyi Gyaltsen accuse alors quelques-uns de ses compatriotes d’être des traîtres. Chaque phrase prononcée déclenche un tonnerre d’applaudissements, mais représente une insulte à la Mère-Patrie, comme on qualifie la Chine. Cette fois, il le sait, le panchen-lama a signé son arrêt de mort.
Vient la terrible année 1989. Une menace plane sur le panchen-lama. Il le sait. Malgré cela, il s’apprête à présider plusieurs cérémonies religieuses.
Le 13 janvier, Choekyi Gyaltsen quitte Lhassa pour son monastère de Tashilhunpo. Le 22, il consacre les mausolées contenant les reliques de ses cinq prédécesseurs, détruits pendant la Révolution culturelle. Le 24, devant un parterre de Chinois venus spécialement de Pékin, il dénonce encore et toujours l’occupation du Tibet. Cette fois, c’en est trop ! Le 28 janvier 1989, à 20 h 16 précises, le dixième panchen-lama est officiellement terrassé par une crise
Weitere Kostenlose Bücher