L'histoire secrète des dalaï-lamas

cardiaque. Il semble plutôt, pour certains, que sa mort ait été programmée. C’est en tout cas ce que pensent l’oracle du panchen-lama et plusieurs dignitaires gelugpas en exil, que l’auteur a rencontrés à Dharamsala. Mais qui croire ?
     
    Le sacre
     
    Depuis la mort du seizième karmapa le 21 décembre 1981, à Rumtek, quatre régents assurent la pérennité de la lignée : Kunzig Shamar Rinpoché, le karmapa à la coiffe rouge ; Tai Situ Rinpoché, qui se considère comme le fils de coeur du karmapa ; Goshir Gyeltsab Rinpoché, le karmapa à la coiffe orange ; et, Jamgön Kongtrul Rinpoché [470] . Cependant, s’ils respectent la tradition, il appartient à Shamar et à Situ de trouver et de désigner la réincarnation du maître de l’école Kagyu. Or, les premières rumeurs de son retour apparaissent dès 1983. Si ce ne sont que des bruits, un poème prophétique du seizième karmapa vient confirmer l’existence de l’enfant : il s’appelle Apo Gaga, heureux, heureux frère , et il est né le 25 juin 1985, dans un camp de nomades du Tibet oriental.
    Le temps court. Nous sommes déjà en mars 1992... Le 18, Jamgon Kongtrul décide de rendre visite à sa mère à Kalimpong. Pour ce voyage, il emprunte la BMW 525 qui vient d’être offerte au monastère de Rumtek. Deux de ses secrétaires l’accompagnent. Le régent s’installe à côté du chauffeur. Direction Siliguri, au Bengale-Occidental.
    Roulant à vive allure sur une route étroite, rendue glissante par la pluie, le conducteur perd soudain le contrôle de la BMW.Les passagers sont tués sur le coup. L’enquête ne sera jamais menée à son terme. Mais d’aucuns mumurent que Shamar Rinpoché et des membres de Rumtek ne seraient pas étrangers à ce drame. Il se dit aussi que d’autres auraient pu mettre du sel et du sucre dans le réservoir de la BMW [471] . Car, Jamgön Kongtrul Rinpoché s’apprêtait à se rendre à Tsurphu, le siège abbatial des kagyupas au Tibet, pour confirmer la réincarnation de l’enfant qu’avait trouvé Tai Situ Rinpoché. Des accusations que Shamar Rinpoché a toujours rejetées [472] .
    Quelques semaines plus tard, le 9 juin 1992, Tai Situ Rinpoché et Gyeltsab Rinpoché, tout juste arrivés à Dharamsala, demandent une audience privée au dalaï-lama. Le chef du gouvernement en exil se trouve malheureusement au Brésil, où il participe au Sommet de Rio, première conférence mondiale sur l’environnement. Les deux lamas de l’école Kagyu lui adressent aussitôt par fax une lettre, dans laquelle ils l’informent de la découverte de la réincarnation du seizième karmapa, et lui demandent de bien vouloir confirmer ce choix.
    La réponse du dalaï-lama ne tarde pas : Apo Gaga peut être intronisé.
    Le 27 juin, le gouvernement de la République populaire de Chine reconnaît officiellement le jeune karmapa. Deng Xiaoping ne peut se permettre de laisser passer pareille opportunité. En mettant la main sur le chef de l’école Kagyu, les communistes songent déjà aux profits politiques qu’ils pourraient tirer de cette affaire.
    Pékin affecte à Tsurphu un certain M. Liu, chargé de lui enseigner les bienfaits du communisme et de le soumettre à une pression permanente. Objectif : que le jeune karmapa épouse les thèses du Parti communiste chinois.
    Le 30, c’est au tour du dalaï-lama de remettre à Tai Situ et à Gyeltsabune une lettre marquée de son sceau.
    Quelques jours auparavant, l’oracle de Nechung était entré en transe, confirmant, à son tour, que la prédiction du seizième karmapa s’était réalisée au Tibet. La chronique conte qu’au XIXe siècle, à l’époque du quatorzième karmapa [473] , Chogyur Lingpa, douzième incarnation d’une lignée de découvreurs de trésors, tertön [*] , portait dans sa tchouba, depuis son enfance, une figurine moulée dans l’argile, mélangée à de la poudre d’os d’un saint tantrique [474] , que les Tibétains connaissent sous le nom de tsa-tsa [*] et dont il prenait grand soin. Alors que, par inadvertance, il l’avait laissée tomber, il fouilla parmi les brisures. Apercevant un papier minuscule, il le ramassa, le déroula : il s’agissait d’une liste de trésors, qu’il allait devoir chercher sa vie entière, et, dont le sens caché ne pouvait être révélé qu’à un être prédestiné comme lui... Alors qu’il visitait le monastère de Karma dans l’est du Tibet, Chögyur Lingpa eut une vision : Padmasambhava