L'histoire secrète des dalaï-lamas
n’était pas seul dans ce voyage. L’accompagnaient quatorze incarnations du karmapa, mais également les sept renaissances suivantes qui se présentèrent l’une après l’autre à Chögyur Lingpa, chacune lui contant tel ou tel épisode de sa vie future. Chögyur Lingpa ne pouvait taire cette vision prophétique. Il se confia donc à l’abbé du monastère, lequel commanda une fresque pour le plus grand mur du lieu saint. L’abbé peignit lui-même une thanka représentant les vingt et une incarnations du karmapa... Chose étonnante, il décrivit avec une extrême précision la scène suivante : « En face des montagnes, un arbre luxuriant pousse très près des rochers. Le dix-septième karmapa est assis au pied de l’arbre, avec Tai Situ Rinpoché – un des quatre régents désignés après la mort du seizième karmapa : leurs esprits sont unis en un seul. » Ainsi le découvreur de trésors ne s’était-il pas trompé !
Confiants, les deux lamas s’enquièrent d’un visa qui les autoriserait à rentrer au pays et à rejoindre l’enfant transporté à Tsurphu, le siège abbatial de l’école Kagyu au Tibet.
Pékin s’empresse évidemment de le leur accorder : avoir au Tibet ce qu’ils appellent un Bouddha vivant – le premier depuis l’invasion de 1950 –, portant l ’imprimatur du dalaï-lama, représente une carte majeure pour assouvir leurs objectifs sur le Toit du monde. Cependant si, à Tsurphu, Tai Situ Rinpoché et Gyeltsab Rinpoché, devenus les tuteurs du karmapa, sont autorisés à lui transmettre les enseignements de l’école Kagyu, cela se fait évidemment à l’expresse condition de ne jamais chercher à nuire à la Mère-Patrie. Les deux hommes se sont donc habitués à vivre, eux aussi, sous discrète surveillance !
C’est le 2 août 1992 que Tai Situ et Goshir Gyeltsab intronisent, dans le temple du Jokhang à Lhassa, Apo Gaga sous le nom religieux de Pal Khyabdak, Rangjung Urgyen Gyalway Nyugu Drondul Trinley Dordjé Tsal Chokle Nampar Gyalway De. À sept ans, il devient le dix-septième karmapa, plus connu sous le nom d’Urgyen Trinley Dordjé.
Pour marquer l’événement, le ministre des Affaires religieuses est spécialement venu de Pékin. Finalement, en acceptant la reconnaissance du maître de l’école Kagyu, Deng Xiaoping abat sa meilleure carte : les disciples, occidentaux et asiatiques, de retour chez eux, pourront témoigner de la liberté des Tibétains à pratiquer leur religion !
Pour officialiser l’élection de Norbu, le onzième panchen-lama désigné par les Chinois, il suffisait que le dix-septième karmapa officiellement reconnu par le dalaï-lama le reçoive. Une rencontre est donc organisée à Tsurphu. Mais, ô scandale, Urgyen Trinley Dordjé refuse de se prosterner devant Norbu. Convoqué à Pékin, c’est le président Jiang Zemin en personne qui lui explique combien son attitude est préjudiciable à la Mère-Patrie.
Où est Guendun ?
Le onzième panchen-lama Guendun Choekyi Nyima est né à Lhari le 25 avril 1989. Rappelons-le, il succède au dixième panchen-lama en 1995, à l’âge de six ans. Enlevé avec toute sa famille, on dit que l’enfant, plus jeune prisonnier politique du monde, porte les cicatrices des tortures et des coups reçus par Choekyi Gyaltsen, décédé en 1989, durant ses années de laogaï et de travaux forcés dans les goulags chinois.
En 1999, Guendun Choehyi Nyima a dix ans, quand la nouvelle de sa mort tombe. Elle émane d’un site internet. Chine Freedom News Association révèle que le petit garçon de Lhari serait mort dans la prison n° 1 de Lanzhou, dans la province de Gansu. Le monde entier s’en émeut. À Dharamsala, l’agitation publique atteint une telle intensité que les autorités indiennes n’y restent pas insensibles. Trois cents moines manifestent de la place de McLeod Ganj jusqu’à l’Assemblée nationale du peuple tibétain en exil, quatre kilomètres plus bas [475] .
Mais, à Pékin, Yu Xiaowen, directeur général de l’administration de l’État pour les affaires religieuses, dément l’information. Pourtant les rumeurs persistent.
Quelques jours après l’annonce, une autre dépêche révèle que le corps d’un garçon de dix ans, « criminel majeur » du laogaï N° 1 de Lanzhou, aurait été transporté dans un crématorium situé au sud de la ville, sous la protection d’une forte escorte. Elle raconte aussi que l’enfant aurait succombé aux
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