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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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surprenante un souvenir, plus qu’un souvenir, une image précise et terrible.
    — J’étais, il y a quelques jours, dans une rue près de mon bureau, lorsqu’une gitane s’est approchée de moi et m’a interpellée : « Veux-tu que je te dise ton avenir ? » Le choc de ses yeux m’a, en une seule seconde, reportée, il y a dix-sept ans, dans un Block du camp de concentration, à Zwodau, dans les Sudètes, où je me trouvais, les derniers mois de ma captivité. À ce moment, arrivaient chaque jour des convois de toutes sortes, lamentables, affreux, terribles ; visions d’enfer, auxquelles nous étions pourtant habituées mes camarades et moi, y étant nous-mêmes incorporées. Un jour, un convoi de femmes et d’enfants gitans affamés, squelettiques, fut placé dans un Block voisin du mien. Ayant appris par une camarade travaillant au Block dit des cuisines, que leur sort était encore pire que celui des israélites et que le nôtre, je parvins à me glisser dans ce Block, bien que ce fût défendu. Pourtant, à cette époque, nous ne touchions plus qu’une demi-ration du quart de la petite boule de pain et une gamelle d’eau chaude, appelée « soupe » ; pour ces gitans… pas de pain.
    — Arrivée dans ce Block, je me souviendrai toujours de ce que je ressentis devant ce grouillement d’êtres humains, femmes et enfants. On ne voyait que leurs yeux noirs, le regard apeuré, terrifié de ce qui avait dû déjà être enduré de souffrances humaines, ces regards qui se tournaient avec désespoir vers les bois qui nous environnaient, car au-delà des fils de fer électrifiés, il y avait autour de nous cette magnifique forêt de sapins, ce ciel merveilleux où, de ma vie, je n’ai jamais vu de lever et de coucher de soleil plus splendide, ce qui, pendant quelques instants, me faisait oublier la température (20 o au-dessous de 0), la faim, la détresse et surtout la perte de cette liberté physique, horriblement dure à supporter. Mais dans les yeux de ces femmes gitanes, je comprenais que, pour aussi dur que ce fût pour nous, ce n’était rien à côté de la souffrance que pouvait endurer ce peuple, fier, dont la vie se passe sur les routes, pour ce peuple ivre d’espace. Oui, cela était affreux pour ces femmes et ces enfants, un affreux désespoir, bien plus grand encore que le froid, la faim, les coups, les humiliations d’une race regardée par ceux qui nous retenaient prisonniers, comme la dernière. Être dans une cage, entourée de ces bois était un supplice affreux. Cela je le lisais dans leurs yeux, je le voyais dans leurs mains tendues. Alors dans mon désespoir de ne rien pouvoir leur donner pour adoucir quelque peu cette souffrance, moi qui ne possédais que ma volonté pour survivre, je leur ai crié « en français » (langue qu’elles ne parlaient pas) : « Bientôt la liberté, courage, la guerre va finir », et plusieurs femmes ont eu un geste gravé au plus profond de moi-même. Mes sœurs, dans la souffrance, se jetèrent à genoux pour embrasser le bas de la loque qui me servait de robe, parce que j’avais dit « liberté ».
    — Je ne les ai jamais plus revues. Très peu de temps après, des camions les ont emmenées pour une destination inconnue,… la chambre à gaz sans doute.
    — Depuis (148) deux mois (149) , nous recevons au camp des transports de tsiganes et de juives hongroises évacuées de Silésie. D’un train, des corvées, soigneusement recrutées parmi les plus jeunes du camp, n’ont pas extrait une vivante sur dix corps entassés. Les loques qui respirent encore ont été enfermées dans une baraque. Dévorées par le typhus, sans nourriture, elles sont mortes dans leur pourriture ou liquidées par des piqûres de pétrole. Nous ne jouissons pas de la commodité de la chambre à gaz et du crématoire, dans ce petit Kommando des Sudètes. Comme depuis le mois de mars, nous n’avons plus le droit d’enterrer à l’extérieur, les cadavres, méthodiquement rangés, sont entassés sur 1,50 mètre de hauteur, le long des barbelés électrifiés, près du Block 6. Le Todkommando est soulagé. Cela lui donne moins de travail. Pas de souci à se faire pour les épidémies. Depuis cinq mois, la température ne s’est guère élevée au-dessus de zéro.
    — Le (150) dimanche 4 mars j’avais travaillé toute la matinée au Kommando du charbon. L’après-midi, prévoyant de nouvelles corvées, je m’étends sur un châlit du

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