L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
de l’air lui dit que s’il ne se tenait pas tranquille, il le tuerait sur place : il portait toujours un revolver. J’ai bu la pire qualité d’eau de mer, la jaune. Je me rappelle que dans le deuxième lit de la première rangée, à gauche en entrant, l’homme aboyait comme un chien. Il avait de l’écume aux lèvres, c’est lui qui eut la première ponction du foie. Nous étions fous de soif et de faim, mais le médecin n’avait pas pitié de nous : il était froid comme glace : il ne nous prêtait aucun intérêt. Un tsigane qui avait mangé un petit morceau de pain et bu de l’eau, rendit le médecin de l’armée de l’air furieux : il fut attaché à son lit et sa bouche maintenue fermée avec du sparadrap.
— Un autre tsigane, qui se trouvait à droite, un gros et vigoureux garçon, refusa de boire l’eau, et demanda au médecin de l’armée de l’air de le laisser partir, mais celui-ci refusa. Au contraire, il lui fit avaler une sonde d’environ 50 centimètres de long, par la bouche, et il versa de l’eau dedans. Le tsigane s’agenouilla et le supplia, mais ce médecin n’avait pas de pitié. C’est lui qui faisait les ponctions du foie et les ponctions lombaires. C’était très douloureux, et comme je lui demandais ce qu’il faisait, il me dit qu’il devait faire une ponction pour faire sortir le sel du foie.
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Le docteur Roche et les membres du Comité clandestin de Résistance du camp désiraient à tout prix savoir exactement ce qui se passait à l’intérieur du Block mystérieux. Plus tard si l’un d’entre eux quittait Dachau vivant, il pourrait témoigner… Le docteur Roche en insistant persuada le professeur Beiglbock de l’utiliser dans son équipe d’assistants.
— Il vous manque un spécialiste des yeux… Les observations que je pourrais faire au fond de l’œil seront précieuses pour vos études.
Beiglbock accepta et Roche découvrit alors :
— Le Radeau de la Méduse. Ils devenaient fous. Ils hurlaient comme des cochons. Des fous ! Ils étaient fous ! Ils se sentaient devenir fous. Ils étaient persuadés qu’ils allaient tous mourir. Ils somnolaient en râlant lorsqu’ils étaient épuisés. Un spectacle horrible : leur peau parcheminée se détachait en plaques, les artères temporales étaient sinueuses… Ils avaient vieilli de quarante ans en quelques jours. Toutes les chevilles étaient éléphantiasiques. J’ai réussi à convaincre Beiglbock de stopper l’expérimentation sur trois tsiganes en lui disant qu’ils allaient mourir certainement. Il m’a écouté.
Ces hommes furent couchés sur des civières et transportés à l’infirmerie. La première série d’expérimentation s’était déroulée alors que le camp connaissait une vague de chaleur inhabituelle. Soudain, le samedi après-midi, comme Beiglbock partait se reposer, le ciel s’obscurcit et la pluie transforma en boue la terre battue de Dachau. Roche, seul avec le personnel déporté, décida de prendre des mesures pour que les « prochains » cobayes n’aient pas à souffrir de la soif.
— Les poutres, juste au-dessous du plafond de la salle, étaient la meilleure cachette. Nous avons fait la chasse aux récipients et nous avons pu dissimuler sur les poutres plus de 40 litres d’eau. Je pus même, au cours des expériences, faire entourer la tête de plusieurs tsiganes de chiffons mouillés. L’expérience était complètement truquée et comme les résultats étaient sensiblement différents de ceux observés la semaine précédente, Beiglbock conclut :
— Il a plu cette semaine, les conditions atmosphériques ont une importance capitale.
Le docteur Roche ne fut pas recherché à la Libération pour témoigner à Nuremberg. Les juges et les experts palabrèrent plusieurs jours pour deviner ce qui se cachait derrière les résultats si différents entre les séries. Ils ne pouvaient se douter qu’au-dessus des lits, sur les poutres, étaient cachées des gamelles d’eau, vidées lorsque Beiglbock disparaissait et souvent remplies au robinet débloqué des W.C.
Témoignage Igraz Bauer (176) .
— Interné à Dachau de juin 1944 à juin 1945, j’ai travaillé à l’infirmerie, où j’étais chargé de la physiothérapie et des électrocardiogrammes…
— Les symptômes de mort de faim et de soif perceptibles à un profane, étaient les suivants : altération visible des malades ; la nervosité et l’agitation se
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