L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
une indescriptible saleté. Les inévitables épidémies commencèrent. Les cas se multiplièrent.
— Leur (44) amour de la musique leur fut une consolation dans le martyre. Devant les horribles écuries de Birkenau, affamés, couverts de poux, ils se groupaient pour faire de la musique ; ils encourageaient les enfants à danser, ils souriaient aux bourreaux, confiants sans comprendre comment il était possible à l’homme de descendre aussi bas. Les chants qu’ils composèrent dans les camps leur survivront et témoigneront de leur âme d’artiste.
— Le Block (45) des enfants dans le camp des tsiganes n’était pas très différent de celui des adultes… Comme les grandes personnes, ils n’avaient que la peau sur les os, une peau mince, parcheminée et écorchée au contact des os durs du squelette. La gale recouvrait les corps sous-alimentés. La bouche était rongée par le noma qui creusait les os et trouait les joues. Chez beaucoup, la dénutrition gonflait d’eau un organisme qui ne réclamait même plus de nourriture. Mais tous demandaient à boire. L’eau était interdite parce que polluée. Aucune menace, aucune prière ne pouvaient empêcher les enfants de boire. Ils donnaient leur dernière ration de pain pour un gobelet d’eau contaminée et alors qu’ils ne se tenaient presque plus debout, ils se glissaient à quatre pattes, la nuit, sous les grabats, jusqu’aux baquets d’eau de vaisselle qu’ils lapaient.
— Ayant constaté (46) dans le bureau du docteur Wirths, que la mortalité du camp des tsiganes, tout juste installé, était la plus élevée, je voulus en savoir la raison et trouvai un prétexte pour y aller avec une sentinelle. Voici ce que j’en écrivis dans mon rapport : « Sur une paillasse, six bébés qui ne doivent pas avoir plus de quelques jours. Quel spectacle ! Les membres desséchés et le ventre distendu. Les mères sont couchées sur des grabats à leurs côtés. Épuisées, la peau sur les os, elles gisent là. Souvent nues. Elles ne semblent plus en avoir conscience. « Viens, il faut tout voir », me dit un aide-soignant polonais que j’ai connu au camp central. Il m’entraîne hors de la baraque, ouvre un appentis contre la paroi du fond : la morgue. J’ai déjà vu beaucoup de cadavres au camp. Mais là, je recule, horrifié. Une montagne de corps, elle a bien deux mètres de haut. Presque rien que des enfants, des bébés, des adolescents. Les rats courent dessus. Je n’ai pas vu ce jour-là le terrain de jeux, orgueil des autorités qui le montraient à tous les visiteurs.
Les jeunes gens du camp tsigane sont autorisés à apprendre un métier. Quelques-uns se rendent au cours de « maçon-plâtrier ».
— La (47) première de ces écoles fut ouverte en juin 1942 à Birkenau comme se le rappelle Adolf Weiss qui y entra à l’âge de vingt ans. Des milliers de garçons entre quinze et vingt-cinq ans, tous juifs, originaires pour la plupart de France et de Slovaquie, s’y trouvaient avec lui. Le Kapo était un juif polonais appelé Mundek, les contremaîtres étaient « aryens » et les cours très régulièrement donnés dans deux baraques. Weiss se rappelle aussi comment tout finit. Un Kapo ayant eu besoin de cent personnes pour décharger des pommes de terre, on lui envoya cent écoliers, dont Weiss. En revenant du travail, ils trouvèrent à moitié vides les baraques des cours. Des chefs de la S.S. venus en inspection avaient visité l’école et ne s’était évidemment pas montrés convaincus de son utilité, car, aussitôt après leur passage, la moitié des jeunes gens fut asphyxiée dans la chambre à gaz et l’autre répartie le lendemain entre divers Kommandos.
— Mais d’autres écoles furent créées. Le Polonais Cseslaw Kempisty avait quinze ans quand il entra au cours de l’hiver 1942-1943 dans une école de maçons du camp central où l’on donnait aussi un enseignement régulier ; le professeur était un Polonais et le directeur un Kapo allemand vert. Thomas Geve, qui avait alors quatorze ans, fut envoyé en août 1943 dans une autre école de maçons du camp central. Selon lui, ses camarades avaient entre treize et dix-huit ans. Dans « cet unique refuge pour les jeunes » , comme il l’appelle, quatre cents garçons russes, ukrainiens, tchécoslovaques, allemands, autrichiens et polonais se coudoyaient. Il mentionne expressément des tsiganes de Tchécoslovaquie ainsi que des juifs de Grèce et de
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