L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
internées avant l’arrivée de la décision qui leur rendait la liberté. Le sort de la famille tsigane Dikulitch-Toderowitch peut servir d’exemple choquant. Cette famille de neuf membres était de nationalité croate. L’ambassade de la Croatie avait obtenu leur libération d’un bureau de la Kripo. Or, tous les biens des tsiganes, de même que ceux des juifs, « passaient en possession du Reich ». Des négociations prolongées avaient été nécessaires pour que la famille pût recouvrir son avoir. En été 1943 ils devaient enfin retourner en Croatie. Cependant, selon l’opinion de Bragner, qui se sentait responsable du salut de l’État, ces tsiganes innocents pourraient troubler les relations amicales avec la Croatie, en y rapportant des informations sur les conditions qui régnaient à Auschwitz. Il différait donc le relâchement, en informant toujours Berlin que la famille en question ne pouvait pas quitter la quarantaine à cause d’une prétendue épidémie de typhus. Un par un, les membres de cette famille succombaient aux dures conditions du camp. Il ne restait à la fin qu’un garçonnet de quatre ans, qui devint le benjamin de tous les internés qui le protégeaient et s’occupaient de lui. Mais personne ne se souciait plus de sa libération. À la liquidation du camp tsigane, lorsque les détenus aptes au travail furent transférés dans les camps de concentration de Buchenwald, Mittelbau et Ravensbrück, le petit fut expédié à la chambre à gaz avec les enfants et les vieillards incapables de travailler.
Le « faux » tsigane.
— Au camp (70) tsigane, outre mon service de médecine, j’avais à m’occuper de la morgue (Leichenhalle ou Leichenkammer). Je pratiquais des autopsies ainsi que des prélèvements. Chaque fois que le docteur Mengele venait travailler à la Sauna, j’étais appelé, non seulement pour servir d’interprète, mais pour servir parfois d’assistant ou « d’auditoire »… Mengele, à côté de son fanatisme dément, avait des qualités humaines. Il posait fréquemment des questions sur la littérature française et il s’efforçait d’apprendre un peu de vocabulaire. Mais hélas, la conscience de sa mission annihilait tout…
— La Sauna occupait la dernière baraque à droite de l’allée principale du camp (Lagerstrasse) et le cabinet d’étude du docteur Josef Mengele se trouvait dans l’enceinte de la Sauna. Lorsque j’entrai dans son cabinet, le docteur Mengele était assis et rangeait ses cahiers. Sur une table étaient posés les objets servant aux examens anthropologiques. Je les voyais pour la première fois. Deux surtout attirèrent mon attention : une planchette servant de support à des mèches de cheveux et une palette-support d’yeux artificiels. C’était une planchette de 70 à 80 cm sur 6 ou 7 cm en celluloïd ou galalithe portant sur toute sa longueur des orifices distants de 2 cm environ d’où pendaient des franges de cheveux, naturels ou factices, présentant des nuances allant du noir corbeau au blanc albinos en passant par le châtain foncé, châtain clair, blond, etc. Chaque nuance était désignée par un numéro et une lettre. La palette se trouvait à côté de la planchette – je n’ai pas le souvenir précis de sa forme. Les iris des yeux auxquels cette palette servait de support formaient une double graduation allant du noir au jaune pâle et du bleu intense au bleu pâle en passant par le violet, le vert et le gris. Chaque nuance portait aussi un numéro et une lettre. Les yeux et les cheveux des sujets à examiner étaient comparés à ces échelles et recevaient une lettre et un numéro qui les caractérisaient. Il y avait également des instruments servant à la mesure de l’angle facial, des diamètres du crâne ainsi que le nécessaire pour empreintes digitales, palmaires, plantaires, une toise, etc.
— Le docteur Mengele donna l’ordre d’introduire le premier sujet à examiner. Il entra. Je reconnus… le tsigane français. J’ai oublié son nom, pourtant un nom courant en France, en tout cas pas un nom germanique comme en portaient la plupart des gitans que j’avais connus chez nous. Je l’avais vu à son arrivée au camp et je connaissais son épouse, ses deux filles et l’histoire de leur arrestation. Je savais bien qu’il n’avait absolument rien d’un tsigane. Un policier ou un S.S. ayant rencontré la famille en France, probablement près d’une roulotte et se rappelant
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