L'homme au ventre de plomb
« Picard,
tout cela ne présage rien de bon », j'ai un sens
pour cela. Un jour, dans un petit village...
– Et selon
vous, quelle était la cause de cette tristesse ?
– Il ne
m'appartient pas d'en juger. Je sentais cela.
Picard se fermait.
Il se mordait les lèvres, comme s'il en avait déjÃ
trop dit.
– Allons, je
vous écoute.
– Je n'ai
rien à dire de plus.
Il paraissait
triste et tiraillait une de ses cadenettes. Nicolas sentit qu'il n'en
tirerait plus rien pour le moment.
– Picard,
dit-il doucement, j'ai besoin de votre aide. Je ne veux pas que M. de
Ruissec ait la douleur de voir son fils en ce triste état.
Voilà ce que je vous propose. Pendant que mes hommes vont
enlever le corps, vous veillerez à ce que votre maître
demeure dans son appartement. Dès que la chose sera faite, je
vous en avertirai et je préviendrai alors le comte des
dispositions qui auront été prises. Jusque-là ,
j'exige le silence et la discrétion.
Picard le fixait,
les yeux brouillés.
– Qu'allez-vous
faire de M. Lionel ?
– Qu'il vous
suffise de savoir que, si ses parents doivent le revoir, nous ferons
en sorte que son apparence ne leur soit pas source d'horreur. Puis-je
compter sur vous ?
– Le vieux
soldat vous entend, monsieur, et je respecterai la consigne Ã
la lettre.
Sur le point de le
congédier, Nicolas se ravisa.
– Ce
Lambert, demanda-t-il négligemment, il a tout d'un honnête
et loyal serviteur...
Picard releva la
tête et sa bouche se crispa. La lèvre inférieure
ressortit en une moue qui ne paraissait pas acquiescer aux propos du
policier.
– C'est Ã
mes maîtres d'en juger.
Nicolas nota que
cette formule paraissait exclure le vicomte de Ruissec.
– Mais
vous-même ? Comment le voyez-vous ?
– Puisqu'il
faut bien répondre, je vous dirai que je n'attends rien de bon
de ce gredin plein de fallace. L'enfant gâté est le père
d'un homme sans caractère ; il cède à celui qui
l'oblige et se laisse pousser dans le sens de sa pente.
– Le comte
connaît-il votre sentiment ?
– Eh !
Pauvre homme que je suis, qu'aurais-je pu faire contre tant
d'avantages ? Le moyen de lutter contre tant de mérites ! M.
Lionel en était coiffé. Le maître serviteur de
son valet, c'est hélas, monsieur, assez l'air du temps. Et
parler au général n'est pas chose aisée...
– L'avez-vous
rencontré ce soir ?
– Qui?
Lambert ? Certes, monsieur. Lorsque M. le lieutenant général
de police a prié mon maître de se retirer dans ses
appartements, je l'ai accompagné, puis suis redescendu
m'asseoir dans le corridor. Quelque temps après, j'ai vu
apparaître Lambert. Il m'a dit avoir été réveillé
par le bruit. Il est monté vous parler.
– Y a-t-il
plusieurs voies pour passer des communs à l'intérieur
de l'hôtel ?
– Soit vous
sortez par une porte qui donne dans la cour d'honneur et vous entrez
par le grand perron, soit vous passez par les hauts.
– Les hauts?
– Par les
greniers, sous la charpente où l'on fait sécher le
linge. Il y a un petit escalier qui rejoint les pièces de
service de cet étage. Il est utilisé la nuit, lorsque
tout est clos et qu'un serviteur est appelé.
Nicolas notait
tous ces détails dans son petit carnet.
– Lambert
vous a semblé à son ordinaire ?
– Ni plus,
ni moins. Mais je ne suis pas habitué à l'envisager.
– Rien ne
vous a frappé dans son apparence ?
– Hélas,
monsieur, vous me connaissez désormais : je l'ai entrevu Ã
peine dans ses grandes lignes, comme une ombre.
– Je vous
remercie, Picard Vous m'avez été fort utile.
Le majordome salua
Nicolas d'une inclination de tête toute militaire. Il hésita
avant de se retirer et finalement lança :
– Monsieur,
trouvez qui a conduit notre enfant à tout cela.
– Soyez-en
assuré.
Nicolas le regarda
s'éloigner d'un pas qui se voulait martial, mais qui n'était
plus que raideur et souffrance. Un autre vieux soldat revint dans son
souvenir ; un corps pendu dans une cellule du Châtelet et qui
venait quelquefois hanter ses nuits comme un remords...
L'interrogatoire
de Picard avait effectivement été utile. L'identité
du mort
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