L'homme au ventre de plomb
conspiration dans laquelle votre père et votre
frère étaient impliqués ? Le savez-vous ?
– Mon frère
a longtemps refusé de le dire. Il s'agissait de tuer le roi,
de hâter la venue du dauphin sur le trône et de créer
autour de lui un conseil de gouvernement.
– Monsieur,
je vous remercie. Nous aurons à voir ce qu'il convient de
faire de vous. Votre sincérité sera prise en compte.
Bourdeau
reconduisit le vidame à l'extérieur du cabinet.
– Bien,
Nicolas, qu'en est-il, Ã la fin, de cette affaire ?
– Je crois,
monsieur, que l'acteur principal du drame est le mieux à même
de vous en dévoiler les arcanes. Je souhaiterais d'abord faire
comparaître devant vous un couple bien extraordinaire et
étonnant à tous égards.
Sur un geste de
Nicolas, Bourdeau ouvrit la porte du cabinet du magistrat et frappa
dans ses mains. Un exempt parut, suivi de Mlle de Sauveté,
entravée, vêtue d'une robe feuille-morte et portant des
lunettes fumées. Aussitôt après, deux autres
exempts déposèrent sur le sol un brancard où
gisait un homme au visage exsangue, la tête soulevée par
un bourrelet de paille. Ses yeux brillaient de fièvre et sa
tête presque tondue évoquait celle d'un galérien
ou d'un moine. Nicolas prévint la demande d'explications de
Sartine.
– Sans
doute, monsieur, reconnaissez-vous Lambert, le valet du vicomte de
Ruissec ? Je devrais plutôt dire Yves de Langrémont,
fils du lieutenant de dragons Jean de Langrémont, exécuté
jadis pour lâcheté au feu. Le comte de Ruissec avait eu
le temps, avant de tomber frappé par une balle, de le blesser,
mortellement, selon l'avis de la faculté. M. de Langrémont
souhaite s'expliquer avant que de paraître devant son souverain
juge. J'ajoute qu'il a été arrêté Ã
Versailles dans la maison de Mlle de Sauveté.
– Et qui est
cette dame ? demanda le lieutenant général de police.
– Puis-je
vous présenter Mlle Armande de Sauveté, ou plutôt...
Il lui retira ses
lunettes et sa perruque. Le visage mutin de Mlle Bichelière
apparut.
– Mlle de
Langrémont, prise de corps alors qu'elle quittait hier la
demeure de Mlle Bichelière, rue de Richelieu.
– Que
signifie cette mascarade ? s'indigna Sartine. Vous me feriez croire
que la Bichelière est la sœur de Langrémont,
alias Lambert, et que la fiancée n'a jamais existé ?
– Oh! c'est
une bien étrange et terrible histoire, monsieur. M. de
Noblecourt m'avait donné le sage conseil de fouiller le passé
de mes suspects. Bien m'en a pris de l'écouter. Le comte de
Ruissec, il y a des années, a fait exécuter un de ses
officiers. L'injustice était patente. Depuis des années,
des pièces et des témoignages sont distillés sur
son action passée. Par qui ? Le mystère est resté
entier jusqu'aujourd'hui. J'ai appris il y a quelques jours le nom du
lieutenant exécuté : il s'agissait de Langrémont,
originaire du diocèse d'Auch. Les rapports de l'intendant de
la province m'ont eux aussi éclairé. Cela m'a rappelé
certaines choses. À deux reprises, cette ville avait été
mentionnée au cours de mon enquête. Des éléments
divers et éloignés de mon investigation se sont alors
rapprochés. L'étrange Mlle de Sauveté avait été
élevée dans cette région. Or, ma descente
inopinée dans sa maison de Versailles m'avait ouvert les yeux.
D'une part, des souliers de tailles différentes, des perruques
aux parfums divers et une tasse de café avec une marque qui ne
pouvait être faite que par quelqu'un qui tenait celle-ci de la
main gauche.
– Le voilÃ
reparti dans son obsession, dit Sartine.
– Or, il se
trouvait que je connaissais fort bien le parfum de Mlle Bichelière
et même... la taille de son pied.
Nicolas rougit.
Bourdeau sortit de l'ombre et se jeta à son secours.
– Le
commissaire, monsieur, a le nez très exact et le don de
reconnaître les odeurs.
– Vraiment ?
fit Sartine. Et l'œil habile à reconnaître les
pieds féminins ! Étrange, étrange !
La manière
dont il avait brusquement imité M. de Saint-Florentin dans sa
manie de répéter les mots et un petit tremblement
incoercible de l'œil décelaient chez
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