L'homme au ventre de plomb
pour d'autres et les frapper de terreur. Je
concentrais ma recherche sur les corps de métier qui utilisent
du plomb.
– Exemplaire
pour d'autres, que voulez-vous dire ?
– Pour
d'autres comploteurs, pour d'autres complices dont, peu à peu,
l'existence me semble probable à mesure que des éléments
troublants prouvent qu'il ne s'agit plus simplement d'une affaire
privée. Une deuxième question m'intrigue : pourquoi
cette extraordinaire exécution, si difficile à mettre
en Å“uvre, si risquée, et qui n'apparaît pas, Ã
première vue, indispensable ? C'est grâce à vous,
monsieur, que je peux répondre en partie à cette
question. Certes, la folie rôde dans tout cela, et les
vengeances exercées par les sociétés secrètes
contre les affidés qui trahissent la cause, mais il y a autre
chose. Une explication complémentaire et, dirais-je, pratique.
– Comment,
grâce à moi?
– Le
ministre de Bavière dont la voiture fut interceptée
pour fraude à la porte de la Conférence, cela vous dit
quelque chose, monsieur ?
– Cela me
dit deux lettres pressantes de M. de Choiseul et trois conversations
assommantes avec ce lourd personnage, tout infatué de ses
privilèges diplomatiques !
– Des
témoignages concordants prouvent que deux hommes ont été
surpris en train d'immerger un corps dans l'eau, près du pont
de Sèvres, le soir de la mort du vicomte. L'un des témoins,
ce fameux cocher, a été frappé jusqu'Ã
l'effroi de l'aspect du visage de celui qu'on lui prétendait
être ivre mort. Eh bien, moi, je soutiens que les deux
meurtriers essayaient de se débarrasser du corps lesté
de plomb du vicomte et que c'est l'échec de cette tentative
qui a conduit ensuite à imaginer la mise en scène du
suicide. Or, celle-ci ne pouvait évidemment être menée
à bien que par quelqu'un qui connaissait parfaitement la
topographie et les habitudes de l'hôtel de Ruissec.
– Tout cela
est bien compliqué et ne me convainc pas.
– Les
meurtriers ne pouvaient se débarrasser d'un corps dans le
grand parc à Versailles. A la première chasse, un chien
l'aurait retrouvé. On a voulu l'immerger lesté de plomb
dans la Seine. Ce fut un échec. Ainsi s'explique l'odeur d'eau
croupie qui imprégnait les vêtements humides du mort.
– VoilÃ
bien la prétention de notre Nicolas : avoir toujours réponse
à tout !
– La mort de
la comtesse de Ruissec nous apportait un autre élément
de notre enquête : un billet de la Comédie-Italienne.
Le meurtrier avait voulu d'évidence m'attirer vers Mlle
Bichelière. Pourquoi ? S'agissait-il de faire porter le
soupçon sur elles ? Non. Tout concourait plutôt Ã
attirer mon attention sur son entourage. La comédienne était
réputée légère. Maîtresse du
vicomte, elle rencontrait aussi d'autres galants. Elle manifestait,
ou feignait, une violente jalousie envers Mlle de Sauveté, la
fiancée de son amant, mais beaucoup plus par intérêt
que par susceptibilité amoureuse.
– Bref, vous
n'en étiez pas plus avancé pour autant.
– Non, mais
à nouveau, l'autre aspect de l'affaire se manifestait. Une
dame, une dame de haut rang, une dame de la plus haute influence...
Sartine se
rapprocha, tira un fauteuil et s'assit. Nicolas baissa la voix.
– ...me fit
chercher. Elle souhaitait m'entretenir de ses craintes au sujet de qui vous savez et me communiquer un libelle infâme et
insultant. Elle me mettait également en garde contre les
menées du comte de Ruissec. Cette rencontre ne m'apportait pas
d'éléments tangibles. Cependant, à Choisy, je
repérai un personnage dont on m'avait déjà parlé
comme d'un ami du vicomte, un certain Truche de La Chaux, garde du
corps à Versailles. Il paraissait avoir ses entrées
dans le château de cette dame. Poursuivant mon enquête,
j'interrogeai la Paulet, une de nos vieilles connaissances, dont
l'établissement continue à être le plus réputé,
en dépit des interdictions, dans le domaine du jeu clandestin
et de la cocange. Cette descente s'avéra fructueuse : j'y
appris que le vidame y jouait gros jeu avec Truche de La Chaux et
qu' il était gaucher . A la suite d'une perte excessive
de son compagnon, le garde du corps
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