L'honneur de Sartine
sa torpeur par un bruit, à peine avait-il ouvert les yeux qu’il avait reçu un coup violent sur la tête, porté sans doute avec le pot de faïence dont il avait retrouvé les débris sur le sol. Il n’y avait rien dans tout cela qu’ils ne sussent déjà.
Dans la maison tout avait été laissé en l’état. Le sang avait coagulé sur le sol du vestibule et Nicolas songea qu’au terme de leur visite il serait bon de donner les instructions nécessaires en vue de nettoyer le carnage. Ils parcoururent, attentifs, l’ensemble des pièces du rez-de-chaussée sans que rien de particulier n’attire leur attention. Au premier, dans l’appartement de M. de Chamberlin, ils s’évertuèrent à déblayer le monceau de livres et de débris pour redonner à la pièce un semblant d’ordre. Leur effort eut sa récompense, aucune trace ne fut décelée du porte-pinceaux en céladon qui, auparavant, se trouvait sur le bureau. Or, Nicolas l’avait vu lors des premières constatations sur le décès du vieillard. Ainsi, le vol avait été accompli soit avant, soit après le départ de la famille pour les funérailles en Champagne. C’était donc bien ce vase qui avait été présenté à M. de Besenval. Cela posait un autre problème ; pourquoi Armand de Ravillois avait-il prétendu que le second vase ne pouvait être montré ? Était-il l’auteur du vol de la paire placée sur la cheminée ? Ou en avait-il alors constaté la disparition ? Les autres chambres de l’étage n’apportèrent rien, sauf celle d’Armand de Ravillois, qui possédait une garde-robe de muguet de cour avec une étonnante collection de paires de bottes et d’éperons.
Le logement de Tiburce Mauras fut lui aussi passé au peigne fin. L’investigation permit de constater
l’absence de manteau ou de redingote d’hiver. Outre cela, Nicolas, qui avait en sainte horreur les tableaux accrochés de travers, remit d’aplomb une gravure encadrée représentant les festivités de la paix en 1763. La saisissant, il se rendit compte de l’aspect et surtout du poids anormal de l’ensemble. Le papier et le carton de l’assemblage avaient-ils gonflé en raison de l’humidité ? Il décrocha le tableau, en décolla le fond et mit au jour une liasse de documents qui se révélèrent des reconnaissances de dettes d’un montant important signées par Armand de Ravillois et endossées par le valet de chambre de M. de Chamberlin. Enfin, au fond d’une commode, tassées sous de vieux gilets, ils trouvèrent plusieurs perruques grises.
– Voilà qui est furieusement éclairant.
Nicolas hocha la tête, faisant la moue.
– C’est peu dire, les présomptions concernant le jeune Armand s’accumulent.
– Tu n’as pas l’air convaincu ?
– Je n’aime pas les preuves qui s’offrent avec autant de facilité.
– Voyons, considère-les de sang-froid. Armand regagne Paris. Il a su que Tiburce revenait. Peut-être, l’a-t-il filé ? Il s’ensuit une discussion qui a pour objet les reconnaissances compromettantes que détient le valet de chambre et qui lui permettent d’exercer un chantage sur le jeune homme. Armand exige, menace, le ton monte, de rage il étouffe le vieil homme et organise la mise en scène que l’ouverture du cadavre a permis de révéler. Les dettes qu’il a contractées vis-à-vis de Tiburce ne sont pas les seules. Il est harcelé par des créanciers ; nous en serons un jour informés. De là jaillit l’idée de profiter des céladons. Les a-t-il cachés ? Est-ce Tiburce
qui les a subtilisés ? Il se grime avec ce qu’il a sous la main…
– Avec le rouge et la céruse dont usent à outrance les vieillards libidineux…
– … enfile perruque et vieille cape d’hiver, mais oublie qu’il est en bottes à éperons. Celles-là même qui laisseront sur le plancher les traces que Naganda avait repérées. Il file rue de Grenelle et propose un vase à Besenval.
– J’avance que les conjonctures sont si fortes et si logiquement liées les unes aux autres qu’elles donnent lieu à de raisonnables présomptions et qu’elles emportent la conviction. Et cela d’autant plus qu’on ne saurait remplacer ton récit par un autre tant les éléments séparés s’imbriquent entre eux en parfaite cohérence. Reste à examiner cette porte sur l’arrière.
Après avoir mis des scellés signés sur la porte du logement de Tiburce Mauras, ils gagnèrent le jardin situé à l’arrière de l’hôtel. Il
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