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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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pas t’attirer dans un mauvais pas. Ces gens-là me veulent malemort.
    – Il se pourrait que le gibier ne soit pas celui qu’on pense. Si je parvenais à piéger le suiveur, ce serait un grand progrès dans ton enquête.
    – Certes, mais, je t’en prie, prends tes précautions, quelqu’un m’a déjà suivi et a prouvé, s’il s’agit bien du même, qu’il pouvait être dangereux.
    Fauroux revint avec le matériel et les hardes nécessaires. La farine du potager fournit le maquillage. Nicolas se déshabilla, remit ses habits à Naganda, n’oubliant ni son pistolet ni son carnet. Les deux amis s’habillèrent sous le regard amusé de Catherine. Le commissaire en un instant fut méconnaissable. Quant au Micmac, de loin et dans l’obscurité de la caisse, il ferait illusion. Le cocher fut appelé et prévenu de la manœuvre qui s’amorça aussitôt. Nicolas gagna par l’intérieur la boutique de Fauroux. Poitevin pendant ce temps faisait entrer la voiture dans
laquelle, tête baissée, s’engouffrait Naganda. L’équipage gagnait la rue Montmartre et virait à grand trot. Nicolas attendit quelques instants et sortit à sa suite, courbé sous le poids de la corbeille. Il emprunta tours et détours ; puis, usant de la facilité d’un passage, rejoignit la rue Saint-Honoré où il sauta dans un fiacre qu’il convainquit par quelques louis de le conduire à Versailles.

    La nuit était depuis longtemps tombée quand il rejoignit Fausses-Reposes. Il était trop tard pour se présenter au château. Le temps de se changer, l’heure du coucher du roi, qui se retirait tôt, serait passée. Et d’ailleurs la vieille rosse attelée à la voiture, peu habituée à de tels parcours, était hors d’haleine, flageolant sur ses jambes. Tribord ne dissimula pas sa surprise devant la tenue de Nicolas, mais, accoutumé depuis longtemps aux fantaisies du policier, ne posa aucune question. À la demande de Nicolas, le cheval serait réconforté dans l’écurie de l’amiral et le cocher partagerait le fricot du vieux matelot qui n’avait point d’heure pour se nourrir. Après il dormirait sous une couverture près de son cheval. M. d’Arranet était reparti en inspection, mademoiselle était montée se coucher.
    Après un instant d’effroi devant l’apparition de ce spectre blanc, Aimée d’Arranet fut prise d’une crise de rire que seules étouffèrent les lèvres de Nicolas. Aucune parole ne fut prononcée. Était-ce d’avoir à nouveau frôlé la mort qui déchaîna sa frénésie ? Il arracha ses hardes de mitron et renversa sa maîtresse sur le lit. Pourtant, avec la conscience que conservent les grands voluptueux même dans leurs moments d’égarement, il eut soudain honte de l’odeur de son corps à l’issue de cette rude journée
et voulut s’échapper. Aimée le saisit à pleins bras si fort, si étroitement, qu’elle le retint contre elle, qu’il en oublia son scrupule et ne chercha plus à se dégager. Pour elle, le corps et la bouche de Nicolas fleurèrent seulement le pain et la vie.

    Vendredi 9 juin 1780
    Le soleil à peine levé, il se dégagea doucement du tendre bras qui le tenait serré et gagna son appartement pour se préparer. Tribord lui avait monté de l’eau chaude qu’il dédaigna. Il descendit dans la cour des écuries pour laver sa natureté à grande eau à la pompe. Il se rasa ensuite et noua avec un soin particulier sa chevelure. Il avala une tasse de café que le vieux serviteur arrosa généreusement d’un trait de rhum. Il venait de houspiller le cocher, le traitant de Lustucru , pour n’avoir point encore attelé. Ce dernier regimbait sous le feu dru des paroles matelotières . Enfin, en habit crème et l’épée au côté, le marquis de Ranreuil partit pour Versailles.
    Il était encore tôt et Nicolas se fit déposer sur la route de Paris. Il souhaitait marcher pour se dégourdir l’esprit. L’image d’Aimée s’imposa et avec elle le constat du paradoxe de leur liaison. Chacun menait sa vie de son côté. Les exigences du service auprès de Madame Élisabeth pour elle, le fait que lui-même fût en permanence à la tranchée en ce temps de guerre les éloignaient toujours davantage. Pourtant cet état de choses n’apaisait pas leurs sentiments. Chacune de leurs rencontres, épargnée des habitudes du quotidien, était empreinte d’une passion
renouvelée. Ils y vérifiaient la force d’un amour qui persistait depuis des années et trouvait sa force et

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