L'honneur de Sartine
après un nouvel embrasement de papier, les deux corps qui furent portés à bout de bras vers la surface où des mains secourables les remontèrent. Grâce à des habits d’uniformes noués on réussit à extraire le commissaire, le sergent et leur aide. À peine sorti, Nicolas chercha des yeux les deux corps. Semacgus était en train de les détacher, ôtant les bâillons et les cagoules dont ils étaient affublés.
– Rassurez-vous, Naganda est indemne et le cocher n’a qu’une blessure à la tête sans gravité. Je les crois seulement assoiffés et affamés.
On s’affaira. De l’eau fut apportée d’une maison voisine. Semacgus veilla à ce que les deux hommes la prennent avec lenteur, leurs lèvres étant gonflées et gercées de n’avoir point bu depuis deux jours. Une chemise fut déchirée pour bander la tête de Bardet, le cocher, qui remerciait chacun en pleurant. Les voitures appelées, on porta le blessé dans la première ; Naganda, aveuglé par les derniers feux du jour, monta dans la seconde avec Nicolas et Semacgus qui le soutenaient. Avant de quitter le Combat du Taureau, le commissaire ordonna de remettre tout en l’état, la porte et les pierres dessus et de rétablir la palissade dans son apparence première. Deux des hommes de Gremillon furent commis pour demeurer sur place, dissimulés au mieux, avec ordre de surprendre et d’arrêter ceux qui reviendraient
visiter les lieux, suite que tout concourait à faire estimer vraisemblable. On ramena le pauvre cocher chez lui où sa femme manqua défaillir de joie en le retrouvant vivant et de désespoir en découvrant sa tête entourée de pansements. Semacgus lui prodigua les premiers soins après lui avoir fait prendre le lit et indiqua à Mme Bardet les recommandations nécessaires et les soins utiles. Le pauvre homme désormais ne songeait qu’à son cheval et à sa voiture, instruments de son unique gagne-pain. Nicolas, pour le calmer, lui jura que le Magistrat prendrait en compte l’aventure et l’aide appréciable rendue à la police du roi. Il lui garantit qu’il serait dédommagé.
Dans la voiture qui les ramenait rue Montmartre et en dépit des objurgations de Semacgus, Naganda tint à cœur de les informer de ce qui lui était survenu.
– Au départ, j’ai tout de suite remarqué un cavalier embusqué dans une rue perpendiculaire à celle dans laquelle nous avions tourné. Ce n’est que trop tard que j’ai remarqué un second cavalier. Le cocher a fait son possible, en prenant beaucoup de risques. Peine perdue ! Parvenus au bout de la rue qui mène à la barrière, le tournant a été pris trop court et, la vitesse aidant, une roue s’est soulevée et nous avons versé. Au moment où j’essayais de m’extraire de la caisse, les cavaliers nous ont rattrapés. Tandis que l’un s’en prenait au cocher, l’autre m’attaquait à l’épée. J’ai fait l’impossible avec mon poignard. Il se tenait à distance sans que je puisse l’atteindre, ou, plutôt, sans que je le blesse suffisamment, car je l’ai touché une ou deux fois. La plupart de mes coups ne portaient pas ; je ne frappais que le bois !
– Oui, nous en avons vu les traces. Comment la lutte a-t-elle pris fin ?
– L’autre cavalier, en ayant fini avec le cocher assommé, m’a surpris par-derrière. Je n’ai pu me dégager. Après, nous avons été ligotés, bâillonnés, aveuglés, allongés dans une charrette, à ce qu’il m’a semblé, et enfin recouverts de tissus puants. Le trajet a été long. Il m’a semblé qu’on empruntait des détours. À deux reprises, j’ai entendu une conversation. La première dans la rue…
– Avec notre témoin sans doute, dit Semacgus.
– Une autre plus tard… lointaine. Il semblait que des ordres étaient donnés. À quel moment ? Je ne saurais le dire. Nous étions depuis longtemps dans le premier endroit où l’on nous a jetés. En tout cas, avant d’être à nouveau transportés là où vous nous avez découverts. Mais par quel miracle ?
– Le mérite en revient à Nicolas qui a eu l’idée d’avoir recours à Pluton. La brave bête ayant senti vos hardes s’est jetée sur la voie aussitôt jusqu’à nous guider à votre cachette.
Le Micmac se pencha vers Pluton vautré sur le plancher et le caressa. À cette marque de reconnaissance il fut répondu par une patte languissamment tendue.
– Reprenons, dit Nicolas, impatient de rassembler tous les éléments que Naganda
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