Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
mieux mon compte à ne point m’engager, réservant mes objurgations aux quatre coins de cette chambre. Aimerais-je voir cela ? Mieux vaudrait peut-être y échapper… Mais vous qui êtes jeune, songez à ne pas vous placer en remorque de l’esprit du temps. Bourdeau est du peuple bien plus que vous croyez en être. Il sent les choses. Écoutez-le, même s’il s’exprime avec une âcreté qu’une prime blessure n’a cessé d’irriter. Et ne vous effrayez pas de ses propos. Au Palais-Royal, sous l’arbre de Cracovie 18 , vous en entendriez bien d’autres, et encore plus pointues !
    Il agitait un doigt sentencieux que Mouchette, revenue de son effroi, considérait, circonspecte, sa petite tête penchée. Du coup elle sauta sur les
genoux de Nicolas, se dressant amoureusement pour lui heurter le menton.
    – Bourdeau est une sorte de Cassandre à qui on ne prête pas suffisamment attention. Le pied dans le terreau populaire, il pressent les choses. Le siècle file et prend le mors aux dents. Mais les cadavres des Innocents n’ont pas occupé toute votre journée ? Que s’est-il donc passé d’autre ?
    Le récit fut long et circonstancié. M. de Noblecourt écoutait, fermait les yeux, les ouvrait derechef. Au bout du compte, Nicolas allait se retirer sur la pointe des pieds quand la voix forte et claire du procureur l’arrêta, inquiétant à nouveau la chatte qui se mit à gronder sourdement.
    – Paix, ma mignonne ! Récit brillant, vivant, orné de portraits au burin. Rien ne manque, mais qu’en dire ? Je reprends sans les discuter vos diverses hypothèses. M. de Chamberlin avait jadis la réputation de faire et de défaire certaines positions. Réputé acrimonieux, pointilleux à l’excès, sachant mieux qu’un autre trouver la perle ou le crapaud dans le fatras des états et des chiffres. La prévarication, le détournement et la fraude, rien n’échappait à sa sagacité. Reste que cet acharnement ne lui a pas procuré que des amis. Des bruits ont couru sur ce parangon de vertu. Placements incongrus, troubles transactions, mélange redoutable d’effets privés et de papiers publics… On a même murmuré, que dis-je soutenu, qu’il avait joué sur des fonds anglais contre l’honneur et le salut du royaume dans des conditions équivoques.
    – Voilà qui est furieusement éclairant. Puis-je solliciter votre si précise mémoire sur M. de Sainte-James ?
    – Notre ami La Borde vous en parlerait plus savamment que moi ! Je crois pourtant savoir que l’homme est intrigant à bien des égards. D’abord son nom véritable qui est Sainte-Gemmes, autrefois Vaudésir, d’une terre acquise sur les bords de la Loire. Son père était trésorier général des colonies. Son fils lui succède dans cette charge à laquelle il faut ajouter la Marine, il y a une dizaine d’années. Les deux fonctions ont été depuis disjointes.
    – Il conserve la Marine ?
    – Certes, et beaucoup d’autres choses en marge… On lui en prête en quantité… Commerce maritime, investissements dans des fabriques, plantations aux Antilles, que sais-je encore ?
    – Sans parler de la folie du bois de Boulogne.
    – Vous ignorez sans doute l’arrière-foyer de ce théâtre-là ? L’homme n’est satisfait de rien. Il est plus aisé de s’enrichir que de faire oublier la manière par laquelle on y est parvenu. Il aspire à tout va à une reconnaissance que ne justifie aucune de ses aptitudes. Et pourtant il estime y avoir droit. Qu’il donne ses instructions à son architecte, il lui précise de faire ce qu’il veut pourvu que ce soit cher . Un ami, toujours à l’affût des moindres nouvelles de la ville et de la cour, l’un des quarante de l’Académie française…
    Il se rengorgea. Le fantôme musqué du maréchal de Richelieu flotta un moment dans la chambre.
    – … m’a confié que le Crésus est l’un des gros créanciers d’Artois, frère du roi. Or Sainte-James veut rivaliser de splendeur avec le Bagatelle du prince. Ce dernier aurait d’ailleurs conseillé à l’architecte Bellanger, le propos a été rapporté dans tous les salons, de ruiner l’animal. Oui, vraiment il lui a dit : Ruinez-le  !
    – M. de Sainte-James aurait-il pu nouer des relations étroites avec M. de Chamberlin ?
    – C’est assuré ! C’est un petit monde replié sur lui-même où chacun connaît les autres et les épie, l’œil inquisiteur. Il est exclu qu’il n’en ait pas eu. Une autre

Weitere Kostenlose Bücher