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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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toute sa tête, et ne laissant sa place à personne pour une dernière patte à une sauce. Lors des grands dîners, elle s’asseyait à l’office, surveillant étroitement les opérations ; rien ne lui échappait.
    Quant à M. de Noblecourt, Nicolas le trouvait au mieux de sa forme. Les soins dont il était entouré, les exercices quotidiens recommandés par Tronchin, son médecin, son régime surveillé par Semacgus, les flots de sauge consommés, la diversité de ses occupations où dominaient la lecture et la musique et surtout la présence du commissaire le maintenaient en joie. Les accès de goutte dont il était coutumier s’espaçaient. Il en éprouvait un regain et un goût renouvelé des curiosités et des nouvelles de la cour et de la ville, friandises qui lui revenaient par mille canaux. Ainsi jouissait-il d’une santé d’autant plus soutenue que son âme ironique était plus réfléchie et égale. Deux coups de canne impérieux résonnèrent au plafond de l’office. Nicolas sourit, son vieil ami, moins dur d’oreille qu’il ne le feignait parfois
quand un fâcheux l’agaçait, l’avait entendu rentrer et réclamait sa présence.
    Il trouva le vieux procureur plongé dans la lecture d’un ouvrage in-quarto posé sur l’écritoire rabattue devant son grand fauteuil. Le modèle dessiné par Semacgus, soucieux d’éviter les douleurs que suscitait le soutien de grands livres, avait été menuisé sur mesures par un ébéniste du faubourg Saint-Antoine. Mouchette, espiègle, patrouillait sur le ventre du lecteur. Il en repoussait machinalement la queue qui oscillait devant son visage. La scène était charmante et Nicolas la contempla un moment avant de manifester sa présence d’une toux discrète.
    – Ah ! Vous voilà, mon ami. Je craignais que vous n’ayez pas entendu les trois coups.
    – Deux seulement.
    – C’est que, le premier, je me le suis donné sur le pied.
    – Constat heureux ! Point de goutte donc !
    – Taisez-vous, malheureux, la nommer c’est l’appeler.
    – Je vous vois l’air concentré sur un passionnant ouvrage ?
    – Oh ! Un essai pour un vieillard comme je le suis.
    – Tirez ! Tirez ! Je relève un œil moqueur et la mine gaillarde d’un jeune homme.
    – Si vous le dites ! De fait, je lis l ’Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine, d’où l’on déduit la manière de calculer les rentes viagères, tant simples qu’en tontines . Par Antoine Deparcieux. Enfin… il est mort il y a une douzaine d’années.
    – Et l’intérêt de tout cela ?
    – Facile à vous d’en juger ainsi, jeune homme ! Très grand ! Considérable ! Surtout pour un vieil
lard. Ce génie a imaginé des tables qui montrent comment une rente viagère doit croître si, au lieu de recevoir la rente à la fin de chaque année, le rentier la laisse comme un fonds afin d’avoir une augmentation proportionnée à l’âge où il parvient. Le génie, je le répète, de ce mathématicien, interrogé par les traitants, les financiers et les hommes de loi ayant à évaluer des rentes viagères, a été de calculer la durée de la vie humaine selon le sexe et le métier. Il a aussi dressé de prodigieuses tables de mortalité, utilisant pour le faire les techniques d’équations nécessaires. Et de quelles sources s’est-il servi pour ce travail ? Hein, le savez-vous ?
    – Ma langue à Mouchette.
    – Fi ! L’ignorant. Certes les investigations dans les paroisses et… le croiriez-vous ? Ah ! Ah ! Des mouvements de la population de Paris suivis par les commissaires de police.
    – J’en suis très fier. Et quel profit en tirez-vous ?
    – Énorme ! Et double, mon cher Nicolas. Cet écrit me confirme que l’argent n’est que la représentation d’un bonheur en puissance qui ne devient réel que pour ceux qui ont appris l’art d’en faire bon usage. Et encore qu’à moi, Noblecourt, procureur retiré, il promet l’espoir d’une longévité pour ainsi dire garantie !
    – Voilà une heureuse prophétie qui remplira d’aise vos amis.
    – Vous me supporterez encore longtemps, car je m’en irai très lentement, goutte à goutte.
    L’ambigu, renouvelé souvent dans la maison, faisait toujours son effet et secoua de rire Nicolas sous le regard satisfait de Noblecourt.
    – Et dans ce tableau, quel sort réserve-t-on aux commissaires ? En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude…
    – Aux affaires ordinaires ? La même

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