L'honneur de Sartine
avec eux.
Nicolas exposa les raisons de leur venue.
– Vous êtes, conclut-il, l’un des invités de ce souper et, si vous en êtes d’accord, j’aimerais solliciter votre mémoire sur le déroulement de la soirée.
– Comme il vous plaira.
– Rien d’inhabituel ne vous a frappé durant ce souper ?
Le baron se mit à rire.
– Chère peu remarquable, vins médiocres et maîtresse de maison silencieuse et fermée. Il est vrai que je suis bavard et que je conversai avec le maître de maison. Vous connaissez ma passion…
Il fit un geste circulaire, embrassant les peintures et les objets du salon.
– Cette famille possède de remarquables exemplaires de porcelaines venus de l’orient lointain, en particulier des céladons, des peau de pêche, des sang de bœuf, ces pièces qu’étudie notre ami La Borde. Il y a longtemps que nous sommes en négociation, M. de Ravillois et moi. Nous en discutions et M. de Sainte-James, lui aussi présent, amoureux des belles choses ou…
Il eut un petit rire.
– … de celles qui sont les plus dispendieuses, ajoutait parfois son grain de sel au débat.
– Rien de particulier, donc ? Personne n’est sorti de table, par exemple ?
– Non… Je suis parfois distrait. Au fait, vous avez raison, le jeune Ravillois, peu aimable et l’air sournois… mais je m’égare. Ce garçon a quitté la table à la demande de son père qui souhaitait qu’il allât chercher une paire de porte-pinceaux du plus beau céladon. Leur forme de bambous est originale.
– Pourriez-vous me préciser, autant que faire se peut, l’heure approximative de cette sortie de table ?
– Je dirais que le souper était achevé. Après dix heures et avant minuit. Nous nous sommes perdus dans une longue conversation sur les chinoiseries. Je ne peux guère en conscience être plus exact.
– Absence de peu de durée, je suppose ?
– En effet, quelques minutes. Le jeune homme est revenu avec un seul vase.
– N’était-ce point d’une paire qu’il s’agissait ?
– Certes ! Et comprenez d’une vraie paire, deux objets qui s’opposent en symétrie ! Il a indiqué qu’il avait préféré n’en prendre qu’un, de peur de les briser, et cela d’autant plus que l’autre contenait des plumes. En outre, les objets étant dans la chambre de son grand-oncle, celui-ci, indisposé, dormait ; il craignait de le réveiller.
– Vous n’en avez pas été contrarié ?
– Une paire est une paire. Nous n’en étions pas encore à conclure, car j’avais cru discerner que cette vente posait problème. M. de Ravillois m’avait confié qu’une contestation l’opposait à son oncle par alliance sur la propriété de ces objets qu’il disait appartenir à sa femme et dont il se prétendait autorisé par elle à disposer.
– Mme de Ravillois n’est point intervenue ?
– Quelques paroles de politesse et un silence assombri. Il y a dans cette demeure des querelles mal dissimulées et des différends évidents.
– Reprendrez-vous bouche avec votre hôte au sujet de cette négociation ?
Il eut un petit rire ironique.
– Après tout ce que vous m’avez conté, je l’ignore. Je pense que l’affaire suivra son cours et sera conclue si Ravillois n’abuse pas du goût qu’il me connaît pour les céladons et pour lequel je consentirais à bien des folies.
– S’il en est ainsi, monsieur le baron, puissiez-vous avoir l’obligeance de m’en faire avertir.
– Cela sera fait selon votre désir et, puisque je vous tiens, sachez que la reine demande souvent de vos nouvelles et regrette, je la cite, que le cavalier de Compiègne se fasse si rare à Trianon . C’est là, vous le savez, qu’elle rassemble sa petite cour de fidèles.
– Je vous remercie de vous faire le bienveillant messager des vœux de Sa Majesté. Ceux-ci sont des ordres. En ces temps de guerre, il est vrai que je me fais rare et ne parais à Versailles que lorsque le service du roi m’y appelle.
Le baron de Besenval se leva et Nicolas fut frappé de l’allure militaire du personnage qui n’était pas sans lui rappeler la prestance de son père, le marquis de Ranreuil.
Ils décidèrent de rentrer au Grand Châtelet. Tout en guettant une voiture, ils firent le bilan de leur dernière rencontre.
– La moisson n’est pas négligeable. Pierre, qu’as-tu relevé de cette conversation ?
– Trois choses. Le jeune homme s’est absenté à une heure où possiblement son
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