L'Hôtel Saint-Pol
délivrer !…
Saïtano saisit un poignard à sa ceinture, bondit, et hurla :
– Que vous m’échappiez, vous, c’est déjà terrible pour moi ! mais quant à ces trois-là, par l’enfer, si tu y touches…
Hardy ne comprit pas, n’entendit pas, peut-être. Il jeta son cri de guerre :
– Hardy ! Hardy ! Passavant-le-Hardy !…
Dans le même instant, il trancha les liens du condamné qui se trouvait le plus près de lui. Le poignard de Saïtano s’abattit dans le vide : Hardy s’était jeté à plat sur les dalles, et déjà, sous la table, il allait aux deux autres condamnés ; quand il se redressa, ils étaient libérés : manœuvre admirable, certes, par sa promptitude. Mais n’était-il pas plus admirable encore qu’en un tel moment l’enfant songeât à la sûreté de ces inconnus ?…
Saïtano fut hébété par la prestesse, l’agilité, la décision de cet adversaire imprévu.
Sombre comme un archange d’enfer, inexorable comme la science, il considérait les trois délivrés qui, massés dans un angle de la salle, frottaient énergiquement leurs poignets et leurs chevilles tuméfiés. Débâillonnés, ils ne songeaient pas à crier. Leurs yeux seuls avaient gémi, imploré, jeté des imprécations. Maintenant, ils se taisaient, et leurs mâchoires convulsivement serrées n’eussent pu laisser passer aucun son.
– Ceux-là ne diront rien, songea Saïtano. La terreur a aboli chez eux la mémoire. Demain, ils seront incapables de retrouver cette rue, ce logis pour me dénoncer. Il y a même quelque chance pour qu’ils ne reviennent pas de la peur et qu’elle les tue sous quelques jours. Oui, ceux-là se tairont !…
Mais alors, son regard farouche s’arrêtait sur Hardy qui, campé devant les trois, son couteau à la main, semblait les protéger encore et défier Saïtano.
– Celui-ci parlera ! Celui-ci a l’intrépidité d’âme qui terrasse la terreur. La reine ne me « reconnaîtra » pas. Son intérêt, même, est de hâter mon supplice. Damnation ! Que cet enfant dise mes travaux, dénonce mon scalpel, et je serai pendu, à moins que l’ignorante populace de la Cité n’allume un feu de joie pour y brûler un sorcier !… Le sorcier !… Ah !
Ah !… Jean de Folleville {7} est un chien de chasse qui devient enragé quand on lui montre un sorcier… Il faut que l’enfant se taise !… Si j’attaque, il y aura bataille, clameurs, vociférations… le voisinage me tient à l’œil… non, non, il faut ici user de ruse, les séparer, et j’attaquerai le petit chevalier tout seul…
– Maudit, que voulais-tu faire de nous ? cria à ce moment Hardy.
– Maudit ! Maudit ! Maudit ! hurlèrent les trois.
On eût dit que la voix de Hardy leur avait rendu la parole.
– Allez ! dit Saïtano, vous êtes libres…
– Libres ? firent-ils ; haletants.
– Venez !…
Ils le suivirent clopin-clopant, tassés l’un sur l’autre, roulant des yeux énormes, suant encore de la peur, et faisant des grimaces de douleur à chaque pas ; ils avaient été admirablement garrottés. Hardy fermait la marche.
Saïtano déverrouilla la porte de la rue.
À peine fut-elle ouverte, il y eut dans la Cité le bruit de la course affolée des trois délivrés qui fuyaient ; oubliant de jeter un seul merci à leur sauveur, emportés par la rafale d’épouvante, ils fuyaient comme s’ils eussent cherché le bout du monde pour s’y cacher…
Saïtano sourit. C’est cela qu’il attendait. Hardy prononça :
– Adieu, maudit ! Et prie ton Satan qu’il me fasse oublier ton repaire !
Et à son tour il s’en alla, mais avec la tranquillité qu’il crut convenable pour sa dignité.
Le chercheur d’impossible, le scrutateur de cadavres, Saïtano, se mit en route derrière lui, le suivant dans l’ombre, à quelques pas, guettant l’occasion pour s’élancer et l’abattre.
Hardy, lorsqu’il se crut seul, s’arrêta et s’appuya à un mur, à un angle du carrefour que formaient la rue de la Draperie, la rue des Marmousets et la rue de la Juiverie. Il tremblait de la tête aux pieds. C’était le choc en retour, la réaction. Ses vêtements étaient trempés. Il avait froid. Il se sentit seul dans ces ténèbres, seul dans la vie, sans père, sans mère, sans parents, sans amis – et il pleura.
Et comme il pleurait ainsi à chaudes larmes amères, un nom qu’il prononça tout bas, dans la candeur de son âme pure, fut comme une lueur
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