L'Hôtel Saint-Pol
dire ; Odette se disait que toute allusion à ce qui venait de se passer pouvait contenir un reproche ; Hardy se disait que toute parole de remerciement serait banale et vide de sens.
Le jour venait. Sur les vitraux, se glissaient les longues coulées des lumières d’aube.
– Il faut partir, dit Champdivers. Dans un quart d’heure, les cours seront pleines de valets.
Ils se mirent en route vers cette partie de l’enceinte qui longeait la Seine. Il y avait là une porte bâtarde non gardée, dont le vieux soudard s’était procuré la clef – peut-être chez le roi lui-même. Odette vint jusque-là, prit la clef des mains d’Honoré, et ouvrit elle-même la porte. Une longue minute Odette de Champdivers et le prisonnier, Roselys et Hardy demeurèrent l’un devant l’autre, sans un mot, les yeux dans les yeux… Enfin, elle baissa les paupières, et, d’une voix qui tremblait un peu, elle dit :
– Allez… et que Dieu vous conduise !…
Alors, le chevalier de Passavant murmura :
– Dites-moi votre nom, afin qu’aux heures d’orage, si j’oublie d’invoquer le nom de ce Dieu qui m’a oublié, je puisse invoquer le vôtre…
Elle répondit dans un souffle :
– Odette !…
Quand elle leva les yeux, elle vit Champdivers qui refermait la porte. Le prisonnier avait disparu. Elle s’en alla, pensive, lentement, comme à regret. Quant à lui, plus d’une heure, il demeura près de cette porte, le cœur battant. Lorsqu’il regarda autour de lui, il vit la Seine joyeuse, les berges animées par les cris des mariniers, et là-haut, le soleil qui montait dans le ciel pur. Il jeta un dernier coup d’œil sur les sombres murs d’enceinte de l’Hôtel Saint-Pol, et, frémissant, ébloui, en lui-même, il cria :
– Vivre ! Vivre ma vie ! Vivre… et aimer !
Alors, se secouant comme un jeune faucon après la tempête, le chevalier de Passavant fit son entrée dans Paris.
– Comme c’est joli, la vie !… Mais qui diable a eu cette pensée biscornue de m’enfourner pour douze ans dans ce taudis sans lumière ? Bah ! N’y pensons plus !
Et il n’y pensait plus !… Il voulait vivre, s’enivrer de vie, et c’est tout. – J’ai soif ! disait-il. Et il entrait dans la première auberge, faisant sonner ses éperons, frappant sur la table du pommeau de l’épée, comme s’il n’eût fait que cela depuis des années, fouillant l’escarcelle que lui avait remplie Champdivers, vidant son gobelet de cervoise ou d’hypocras. Et il allait plus loin. – J’ai faim ! Et il abordait dans la rue quelque marchande d’oublies, lui jetait un petit écu, s’en allait, riant et croquant ses pâtisseries.
Le chevalier de Passavant, d’un pied leste, l’œil joyeux, le nez au vent, la main à la garde de la rapière, se faufilait au travers de la foule.
Mais tout à coup son cœur se mit à palpiter… il venait d’entrer dans la rue Saint-Martin !
Quelques instants plus tard, il était devant le logis Passavant.
Accoté à ce mur auquel, dans la nuit terrible, douze ans avant, s’était appuyé Saïtano, Passavant contempla la demeure où avait vécu son père, était morte sa mère, où s’était écoulée son enfance.
Sa gorge se serra. Il sentit ses paupières se gonfler. Mais les larmes qui l’auraient soulagé ne vinrent pas.
– Tiens, fit-il, je ne puis plus pleurer ?…
Le logis était délabré. Nul n’en avait pris soin. Un manteau de poussières couvrait les verrières de l’oratoire. Des ardoises manquaient au toit. De petits arbustes poussaient aux fentes du mur d’enceinte.
– Entrons chez moi, dit Passavant.
Et, au grand ébahissement des gens de l’auberge d’en face, il escalada le mur. Par une fenêtre du rez-de-chaussée dont il brisa les vitraux, il pénétra dans l’intérieur, et tout de suite monta à la salle où, jadis, il se tenait d’habitude, salle de jeu où traînaient encore des poupards, et sur une table, des livres enluminés.
Les souvenirs assoupis s’éveillèrent d’un seul coup. Des images effacées reprirent toute leur fraîcheur comme s’il les eût soudain exposées au grand jour. Tout le passé, vivant et vibrant, se dressa devant lui. Et d’une voix d’angoisse éclatante quand même, à grands cris, comme s’il eût été sûr qu’elle allait accourir ainsi qu’autrefois, il appela :
– Roselys ! Roselys !…
XIII – L’HOMME DE LA CITÉ
Ce même jour, vers dix heures du soir, sous des
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