L'Hôtel Saint-Pol
ignorez, il en est d’autres que vous devez savoir.
– Lesquelles ? Voyons…
– Voici. Dans mon logis vivait avec moi, près de moi, une noble demoiselle nommée Laurence d’Ambrun. Savez-vous ce qu’elle devint ?
– Non, dit nettement Saïtano.
Passavant tressaillit, passa une main sur son front, et, d’une voix moins assurée :
– Près de moi, aussi, dans le logis de mes pères, vivait une enfant, une petite fille âgée de cinq à six ans, et nommée Roselys. Savez-vous ce qu’elle devint ?
– Oui ! dit Saïtano avec la même netteté.
À l’instant, Passavant fut debout, courut à Saïtano et lui prit les deux mains. Son émotion était profonde.
– Parlez, dit-il.
– C’est chose promise. Et puis, bien que vous m’ayez un peu durement traité, vous m’intéressez. Je vois que le sort de cette enfant vous touche au cœur, est-ce vrai ?
– Pour savoir ce qu’elle est devenue, je consentirais à rentrer dans cet enfer d’où je suis sorti…
– Où donc étiez-vous ? demanda Saïtano avec une avide curiosité.
– Dans un cachot. Douze ans j’ai vécu là, si cela peut s’appeler vivre, sans air, sans lumière, sans espoir… J’y ai été jeté la nuit même où vous m’avez fait arrêter par des gens d’armes qui me conduisirent à l’Hôtel Saint-Pol, et j’en suis sorti la nuit dernière.
– Ah ! Ah ! fit Saïtano qui remit ses forces en garde. Et vous dites que vous n’avez pas un peu envie de me tuer ? de vous venger de moi ?…
– Pourquoi faire ? dit Passavant. Vous l’avez dit. Vous n’êtes qu’un instrument. Je l’ai toujours pensé. Non, non, c’est de Roselys que je suis venu vous parler ! Dites-moi ce que vous savez, et je vous jure, moi, qu’à tout jamais j’oublierai le mal que vous m’avez fait.
Saïtano baissa la tête, pensif. Il ne s’expliquait pas la générosité du jeune homme. Il en cherchait les motifs et ne les trouvait pas. Enfin, haussant les épaules :
– Je vais vous dire tout ce que je sais. J’ai peut-être tort. Mais vous m’intéressez, ajouta-t-il avec un singulier sourire pâle. Donc, l’enfant… comment l’appelez-vous ?
– Roselys.
– Oui. Eh bien, elle fut remise à une femme qui avait son rôle à jouer pour Roselys comme j’avais, moi, mon rôle à jouer pour vous. Cette femme est morte, ne la cherchez pas, reprit-il en voyant le mouvement que faisait le jeune homme. J’ai eu l’occasion de la voir deux ou trois jours avant sa mort. Elle m’avait appelé pour la soigner, car je suis un peu guérisseur. Et elle me raconta ce qui était advenu de Roselys… C’est simple et bref : cette femme emmena l’enfant loin de Paris, dans un bourg dont elle ne me dit pas le nom, et l’exposa sous le porche de l’église, comme fille sans nom…
Le chevalier de Passavant bondit :
– Exposée !… Quoi !… Exposée !… Comme si elle n’eût eu personne au monde !… Si frêle, si facile à troubler, à effrayer… c’est horrible !
– Oui, dit Saïtano. Vous le dites : frêle, facile à troubler. Elle fut, en effet, si effrayée de cette nuit, si honteuse peut-être d’avoir été exposée… – exposée aux injures, aux rires, aux sarcasmes – qu’elle en éprouva une violente commotion de tout son petit être, et, trois mois après avoir été recueillie… elle expira !
Passavant devint blanc comme un mort, baissa la tête, porta la main à ses yeux, et d’une voix de détresse, comme si tout lui eût désormais manqué, comme s’il eût alors seulement compris la place que Roselys occupait dans son âme, il murmura :
– Morte !… Roselys est morte !…
Longtemps, le chevalier de Passavant se débattit contre la douleur. Il ne pleurait pas. Il l’avait dit : Tiens ! je ne puis plus pleurer ? Et c’était vrai. Les larmes consolatrices, les larmes apaisantes, les larmes qui entraînent avec elles un peu de la souffrance qui les provoquent, lui manquaient. Sa douleur n’en fut que plus rude. Oui, il comprit alors que Roselys, endormie dans son souvenir, au fond de la nuit de son cachot, n’en avait pas moins toujours été présente dans les profondeurs de son souvenir. Il comprit qu’enfant, il l’avait aimée, et qu’elle était l’unique amour de sa vie. Il éprouva cette sorte de vide au cœur si semblable au terrible vide de la maison lorsqu’on revient d’accompagner au cimetière un être cher.
Peu à peu, soit qu’à force de
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