L'Hôtel Saint-Pol
vivre replié sur lui-même, il eut appris à se dompter ou du moins à dompter ses attitudes, soit qu’il eût quelque honte à livrer à cet étranger – à cet ennemi – le secret de son intimité la plus profonde, il se calma, reprit sa physionomie habituelle – mélange d’ingénuité, de jeunesse, de fierté, de tristesse à peine, et d’humeur narquoise.
– Je vous remercie, dit-il. C’est tout ce que je voulais savoir de vous. Avant de m’en aller, je tiens à vous dire que vous n’avez rien à craindre de moi. Pourtant, il faut aussi que je sache le nom de celle qui…
– La femme est morte, je vous l’ai dit. Ne la cherchez pas.
– Vous ne me comprenez pas. Je veux parler de celle qui recueillit… l’enfant. Comment traita-t-elle Roselys ? Pourquoi la recueillit-elle ?
– En adoptant l’enfant, dit Saïtano, cette femme obéit à l’inspiration du cœur le plus noble qui soit. Elle la soigna comme une mère. Elle fit tout pour la sauver… Et cependant, elle savait qu’en agissant ainsi, elle s’exposerait à la haine et à la vengeance.
– Le nom de cette femme ! s’écria Passavant. Oh ! Je veux aller la trouver, la bénir, la défendre si elle est menacée, mettre ma vie à son service…
– Elle le mérite, dit Saïtano. C’est unesainte.
– Eh bien, parlez. Qui est cette femme ?
Saïtano parut hésiter, et enfin :
– Vous le voulez ?
– Je le veux !…
– Eh bien, c’est… Isabeau de Bavière, reine de France !…
XIV – LE MARI DE LA DUCHESSE D’ORLÉANS
Le chevalier de Passavant ne témoigna aucun étonnement. Il lui sembla tout naturel qu’une femme de cœur, fût-ce une reine, eût été intéressée par le malheur d’une si aimable, si jolie, si gracieuse petite fille, et se fût rapidement attachée à elle. Il ne dit donc rien. Mais en lui-même, il bénit la reine et se jura que si jamais elle avait besoin de la vie et du sang d’un homme, cette vie serait la sienne, ce sang il le répandrait avec joie pour celle qui avait consolé les derniers jours de Roselys.
Il salua Saïtano d’un léger signe de tête, rejeta sur ses épaules son manteau séché, et sortit sans que, de son côté, le sorcier eût dit un mot d’adieu.
Saïtano verrouilla sa porte, et, en se retournant, vit une femme grande, sèche, grisonnante de cheveux, l’œil étrangement froid, qui le regardait.
– Eh bien, Gérande, il faut donc que toujours tu écoutes aux portes ? dit le sorcier. Tu as vu, hein ? Tu as entendu ? Qu’en dis-tu ?
– Je dis, répondit Gérande, que vous avez eu tort de laisser partir ce jeune homme.
– Par le sacré Grimoire, on voit bien que tu n’as pas éprouvé la force de son poignet ! Mais je le retrouverai, Gérande, il ne perdra rien pour attendre. Et d’ici là, comme de grandes choses se préparent, comme la reine va avoir besoin de dévouements aveugles, tu vois, j’ai fait de ce jeune homme un serviteur fidèle jusqu’à la mort, tu peux me croire.
– C’est égal, reprit Gérande, vous avez eu tort de le laisser aller.
Et cette fois, cette femme prononça ces paroles d’un accent de si froide et prophétique menace que le savant, l’homme que rien n’ébranlait, se sentit troublé au fond de l’être comme on l’est quelquefois, au milieu de la nuit, par le soudain hululement des oiseaux de mauvais augure. Mais bientôt, secouant la tête :
– Pauvretés que tout cela ! Et que m’importe même le sort du royaume de France, de tous les royaumes, le sort du monde ! Allons travailler. Je suis sur le point de trouver, Gérande !… Le Grand-Œuvre ! Comprends-tu ? Viens, Gérande, montons voir Laurence d’Ambrun…
– La mère de la petite Roselys, dit Gérande avec son calme sinistre.
Et tous deux s’engagèrent dans un escalier de bois qui montait en tournant jusqu’à l’unique étage de la vieille maison de la Cité.
Cependant, le chevalier de Passavant s’était éloigné de cette maison où il était peut-être venu chercher un peu d’espoir et où il n’avait trouvé qu’une douleur. Absorbé qu’il était par ce qu’il venait d’apprendre, il vagua au hasard dans la Cité, sans se soucier de savoir où le conduiraient ses pas, et se disant qu’il serait toujours temps de frapper à une porte d’auberge.
Il s’éveilla tout à coup de ses songeries couleur de deuil et de tristesse, et, avec étonnement, se vit au milieu d’une foule, parmi des lumières
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