L'Hôtel Saint-Pol
veuvage n’aura rien à redouter ni du duc d’Orléans, ni du duc de Berry, ni… du duc de Bourgogne !…
Et Saïtano pâlit à son tour ! La haine flamboya dans ses yeux. Il porta la main à sa joue, éclata de rire, et continua :
– Chacun aura son tour ! Allez, madame, soyez sans peur, soyez sans pitié, car les hommes n’aiment que ce qui est redoutable ; la race, voyez-vous est accoutumée au fouet !
– À quoi, alors est destinée cette liqueur ?
– À combattre l’influence d’Odette de Champdivers, à rendre au roi Charles VI cette précieuse démence qui faisait de vous le monarque le plus puissant du monde chrétien. Allez, madame. Pour le moment, mieux vaut pour vous un mari fou qu’un mari mort… Allez, et laissez-moi à mes études.
– Oh ! dit Isabeau, tu as raison ! Charles mort, c’est un nouveau roi sur le trône, et moi chassée, arrêtée peut-être ! Charles redevenu dément, c’est toute ma puissance retrouvée !
Saïtano sourit, prit un flambeau, et escorta jusqu’à la porte de la rue la reine et Bois-Redon. Un coup de vent éteignit le flambeau. Un instant, Saïtano regarda s’éloigner ses visiteurs. Il les vit, à la lueur d’un éclair, tourner le coin de la rue aux Fèves. Un coup de tonnerre ébranla la maison. Dans le même instant, comme Saïtano rentrait, une main rude repoussa la porte qu’il voulait fermer et l’ouvrit toute grande… Un jeune homme apparut, vêtu de velours gris sous son manteau ruisselant de pluie, repoussa dans l’intérieur Saïtano stupéfait, ferma la porte, s’inclina, et dit :
– Bonsoir maître. L’enfant mort vous salue !…
Saïtano recula de deux pas, et darda son regard aigu sur le chevalier de Passavant. Il n’avait pas besoin de le reconnaître : Ces mots « l’enfant mort vous salue » étaient une présentation suffisante. Saïtano fit bonne contenance.
– Vous venez avec le tonnerre, dit-il goguenard.
– Et comme le tonnerre, fit Passavant avec simplicité.
– Que voulez-vous ?
Sans répondre, Passavant entra dans la deuxième salle, prit un autre flambeau resté allumé sur la table, et pénétra dans la troisième salle. Il s’arrêta, devant la table de marbre. Sombre, agité de sentiments où la peur tenait sa place, Saïtano l’avait suivi. Passavant tira sa rapière et, de la lame flexible, fouetta la table.
– Ce fut ici, dit-il en frémissant.
Saïtano, au geste de cet ennemi qui mettait flamberge au vent, s’était ramassé pour une lutte suprême. Sa stupeur effarée s’évanouit. Que Jean sans Peur eût laissé vivre « le témoin », il remit à plus tard de se l’expliquer. Sans dire un mot, il saisit dans un coin une forte épée, et, laissant tomber son manteau, apparut ce qu’il était : admirablement campé dans sa maigre stature, tout en nerfs, l’œil froid, la main souple. Passavant se mit à rire. Si brave que fût Saïtano, ce rire fit pointer la sueur à la racine de ses cheveux.
– Où sont « les trois vivants ? » demanda Passavant.
– Je ne les ai jamais revus, dit froidement Saïtano.
– Oui, ils eurent assez peur, les pauvres diables, et sans doute l’envie de venir rôder par ici leur a passé pour toujours. Moi aussi j’ai eu peur. J’ai bien souvent eu froid dans le dos en songeant à cette seconde où je vis s’abattre sur ma poitrine votre main armée de la petite griffe d’acier. Mais je reviens tout de même. Me reconnaissez-vous ?
– Je vous reconnais à vos paroles.
– Oui. Le visage a changé. Savez-vous ce que je suis venu faire ici ?
– Vous venger, sans doute. Mais on ne me tue pas aussi facilement que vous l’avez cru.
En même temps Saïtano se rua l’épée haute et porta un coup furieux en criant : Meurs donc puisque tu étais destiné à mourir ici !… Le coup ne toucha pas, l’épée érafla le manteau ; sans se donner la peine de se mettre en garde, Passavant saisit cette épée à pleine main, l’arracha à son adversaire, la brisa sur son genou et en jeta les tronçons. Cela dura le temps d’un éclair. Dans le même instant, il se plaça d’un bond devant la porte et coupa toute retraite. Désarmé, vaincu dès le premier contact, sûr d’être tué, Saïtano se croisa les bras, jeta un farouche regard à Passavant et attendit.
Le jeune homme n’était pas venu chercher un duel dans l’antre de Saïtano. Mais cette brusque attaque modifia ses idées. Il sourit, et
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