L'Hôtel Saint-Pol
cliquetis, et, dans la rue, des cris de femmes. Mais les quatre portaient des casaques de cuir épais. Dès les premiers coups, Passavant comprit qu’il allait être tué sans pouvoir blesser un seul de ses adversaires à la poitrine. Il recula et sentit derrière lui les marches d’un perron. Les quatre, autour de lui, bondissaient, hurlaient, vociféraient des insultes effrayantes, et cependant, s’étonnaient de toujours trouver à la parade la rapière fine, vivante, cinglante. L’ennemi eût dû être tué dix fois déjà. Il montait à reculons les quatre marches du perron d’auberge et, son petit sourire aigre-doux frémissait au coin de sa lèvre.
– Une, dit-il en posant le pied sur la première marche. Et sa rapière cingla le visage d’Ocquetonville. – Deux ! cria-t-il sur la deuxième marche. – Trois ! à la troisième. – Quatre ! à la quatrième. Et à chaque cri, à chaque marche, siffla, cingla la fine lame qui vint s’abattre sur une joue et la rayer d’une balafre rouge. Courteheuse après d’Ocquetonville, puis de Guines, puis de Scas… Et d’un bond, il fut dans le cabaret dont une femme lui ouvrit la porte. Il y avait eu quatre rugissements. Mais les molosses, maintenant, ne criaient plus. Dans le même instant, ivres de honte, sanglants, enragés, ils furent dans le cabaret où ils firent un signe à quinze hommes d’armes. Tout ce monde, ensemble, se jeta sur Passavant en hurlant : À mort ! À mort !…
Il se vit perdu !
Le chevalier, d’instinct, s’était acculé à un angle, et faisait face aux assaillants. La bande se rua, les uns armés de leurs épées, d’autres saisissant un escabeau pour l’assommer. En un instant, le cabaret fut plein de clameurs. À ce moment, tout à coup, une voix impérieuse domina le tumulte déchaîné :
– Holà ! Bas les armes !…
Un gentilhomme couvert de son manteau, le visage masqué – comme la plupart de ceux qui se hasardaient en ces lieux – s’avança vivement. Et comme il était escorté de cinq ou six gaillards qui semblaient déterminés, on lui fit place. Rapidement, il atteignit le groupe furieux que formaient Ocquetonville, Scas, Guines et Courteheuse. D’un coup sec, il releva les épées, et cria :
– J’ai dit : Bas les armes, mes maîtres !…
Le ton était si impérieux qu’ils obéirent d’instinct. Il était temps : le justaucorps de velours gris portait huit ou dix entailles dont une ou deux s’ourlaient de rouge. Dans le cabaret, il se fit un grand silence.
L’inconnu considérait le chevalier de Passavant, pâle, maigre, hérissé dans son angle.
– J’ai tout vu, dit-il au bout d’un instant. Vous êtes un brave. Et c’est pourquoi je suis accouru pour vous tirer de ce mauvais pas. Mort de Dieu ! Je me rappellerai longtemps les quatre coups de cravache, un par marche !…
Il y eut quatre grognements furieux.
– Silence ! reprit l’inconnu. Monsieur, ajouta-t-il, je vous tiens pour un brave gentilhomme, et si vous cherchez fortune, elle est toute trouvée : il ne tiendra qu’à vous, dès demain, d’appartenir à ma maison. Et dès lors je me charge de vous.
Passavant avait baissé la pointe de sa rapière. Il eut l’air de la considérer un instant.
– Monseigneur… dit-il enfin.
– Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? interrompit vivement le gentilhomme masqué.
– Parce que vos paroles, votre air, et ce que vous venez de faire me prouvent que j’ai l’honneur de parler à un noble et haut personnage.
– Bien dit ! firent les compagnons de l’inconnu. Monsieur est aussi spirituel que brave.
– Monseigneur, donc, reprit le chevalier, je vous rends mille grâces pour l’intérêt que vous voulez bien me témoigner. Mais je me suis si peu appartenu pendant ces dernières années que j’éprouve le besoin irrésistible d’être à moi pour quelque temps. Je me vois donc forcé, à mon grand regret, de refuser vos offres, pour si honorables qu’elles soient. Mais ce que je puis vous dire, c’est que je vous dois la vie et que je ne l’oublierai pas, quoi qu’il advienne.
Ces derniers mots furent prononcés avec une si fière assurance que l’inconnu ne put s’empêcher de s’incliner comme si, par une étrange intervention des rôles, ce fut lui qui se trouvait en reste de gratitude avec celui qu’il venait sûrement de sauver de la mort.
En même temps, il se démasqua rapidement.
Les quatre attaquants, d’un même mouvement,
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