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L'Hôtel Saint-Pol

L'Hôtel Saint-Pol

Titel: L'Hôtel Saint-Pol Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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pleuré…
    Il le croyait !
    Il était sous le coup de la passion qui crée des mirages, mêle songe, mensonge, vérité, détruit la perspective, abat les points de repère, précipite au chaos les sentiments de l’homme.
    – Savez-vous pourquoi je vous ai fuie ? râla-t-il en joignant les mains. On dit…
    Il s’arrêta, recula. Vraiment, la jalousie grondait en lui.
    – Que dit-on, voyons ? sourit la reine.
    Et il se fût damné pour ce sourire.
    – Le duc d’Orléans… bégaya-t-il.
    Elle éclata de rire, à demi renversée en arrière.
    – On dit donc, reprit-elle, que le frère du roi a eu mes faveurs {13} . C’est juste, que n’a-t-on pas le droit de dire de la reine qui passe pour appeler dans la couche royale jusqu’à son capitaine des gardes, cette brute de Bois-Redon !
    – Madame… frémit Jean sans Peur.
    – Laissez donc, interrompit-elle avec un suprême dédain. Le duc d’Orléans, ce n’est pas assez. On dit aussi Hélion de Lignac. Vous le connaissez. Demandez-lui. On dit aussi le duc de Berry. Mais celui-là est discret, ne lui demandez rien. On dit aussi Savoisy, la Tremoïlle, Coucy, Châtillon, Puisieux, – et dans un éclat de rire terrible : on dit aussi Capeluche, oui, pourquoi pas ? Capeluche ! Entendez-vous ! l’exécuteur des hautes œuvres ! Capeluche que j’ai trouvé si beau le jour d’une exécution par la hache que je lui ai fait tout de suite savoir ! On dit…
    – Grâce, madame ! rugit Jean sans Peur, la main à la poignée de sa dague.
    – Voici ce qu’on ne dit pas, reprit tout à coup Isabeau d’un accent d’incomparable fierté. Voici ce que nul ne dira de la reine, pas même vous : c’est qu’Isabeau de Bavière n’a aimé qu’un homme dans sa vie, qu’à cet homme elle s’est offerte avec tout son cœur, que cet homme lâche et menteur a fui après s’être engagé à elle par serment, que dis-je ! par la chaîne d’une effrayante complicité, et que depuis ce temps, Isabeau veuve… entends-tu ! veuve ! Isabeau a tellement pris les hommes en horreur et détestation qu’elle préférerait choisir ses amants parmi les fauves des cages royales plutôt que de subir la honte d’appartenir à l’un de ces hommes, manant, bourgeois, bourreau, prince ou roi !…
    Jean sans Peur tomba sur les genoux, baissa le front jusqu’à lui faire toucher le tapis, et cria :
    – Écrasez-moi !…
    – Debout ! fit rudement Isabeau. Songez donc que si l’on nous voyait ainsi, on ajouterait votre nom à l’interminable liste ! Je ne veux pas, moi ! Capeluche, oui, soit ! Mais Jean sans Peur, ah ! non !…
    Et comme il obéissait, comme il se relevait, livide, glacé, cinglé au sang par cette admirable apostrophe, brusquement, elle s’abattit dans ses bras et se prit à sangloter.
    C’était le trait final. Trait de génie de la plus étonnante tragédienne qui ait paru sur la scène du monde. Et encore une fois, qui sait si par auto-suggestion elle n’était pas sincère à cette minute ? Quoi qu’il en soit, leur but, à tous deux, était atteint. Elle avait fait venir Jean sans Peur pour tenter de l’armer encore à son service, et Jean sans Peur se livrait pieds et poings – cœur et corps, force et pensée, comme elle avait jadis exigé. Quant à lui, il était venu dans le vague espoir qu’Isabeau pouvait être encore, peut-être, l’instrument de son ambition – et Isabeau, maintenant, lui disait :
    – Cet homme qu’on dit que j’aime, je veux qu’il meure ! Je sens, je vois que vous ne croyez à aucun des autres, mais que celui-là…
    – Orléans est mon ennemi mortel, dit Jean sans Peur d’une voix assombrie.
    – Il est donc naturel que son nom vous ait frappé plus que celui des autres.
    – Oui. Je le haïssais sans savoir pourquoi. Je croyais seulement détester en lui le rival de ma puissance, l’homme qui régit le royaume – je haïssais en lui…
    – Mon amant ! Eh bien, je vous le livre.
    – Oh ! fit avidement le duc de Bourgogne, si cela était ! S’il pouvait se faire que vous le haïssiez, vous aussi ! Par le Christ, je jure qu’alors…
    Isabeau de Bavière sourit :
    – Ne jurez rien. Je ne hais pas Louis d’Orléans. Mais vous le haïssez, vous. Et cela suffit. Il est votre ennemi. Donc, il devient le mien. « Entre vous et moi, rien de vivant !… » Vous soupçonnez Orléans. Eh bien, périsse Orléans ! Prenez garde ! je ne parle pas en vain. Vous me forcez

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