L'Hôtel Saint-Pol
liberté…
Passavant s’était arrêté à l’estrade.
La reine eut un coup d’œil. Cela suffit. Tout le monde s’écarta à respectueuse distance.
– Chevalier, dit alors Isabeau, vous savez maintenant quelle princesse vous avez sauvée. Je n’ai pu, hier, vous remercier comme il convenait. Vous avez risqué votre vie…
– Madame, dit Passavant enfiévré, ma vie vous appartient.
– Ah ! vous me dites ce qu’ils disent tous !
– Je le dis parce, que cela est. Un jour, il y a bien longtemps de cela, vous avez recueilli une petite fille exposée. Vous vous êtes penchée sur elle comme un ange. Vous avez fait une douce mort à l’enfant que rien ne pouvait sauver. Figurez-vous, madame, cette enfant, c’était ma sœur… Vous voyez, ma vie vous appartient.
Isabeau avait écouté avec une intense attention. Un trouble indicible la faisait palpiter, et nul n’eût pu dire si c’était la voix ou bien les paroles de Passavant qui la faisaient frémir.
– Qui vous a conté cela ? dit-elle.
– Un homme qui habite dans la Cité, vers le milieu de la rue aux Fèves.
Isabeau tressaillit. Le chevalier vit qu’elle pâlissait un peu. Lentement, elle étendit son bras pareil à un marbre et prononça :
– Celui-ci ?…
Passavant se retourna avec un frisson. À dix pas de lui, il vit un homme tout enveloppé de rouge, immobile, haute silhouette impressionnante, et qui le regardait. Il était là. Passavant ne l’avait pas vu depuis qu’il était dans cette salle. Mais il était là, au milieu d’un grand vide, et le chevalier vit que les femmes regardaient cet homme avec une terreur qu’elles cherchaient à peine à cacher.
– C’est lui ! dit-il.
Saïtano s’avança. Il portait un magnifique costume de velours noir. L’épée de cour était fixée à sa ceinture constellée d’émeraudes. Mais tout cela s’enveloppait dans les plis d’un manteau de soie rouge. Il s’avança donc jusqu’à la reine, s’inclina et dit :
– Le chevalier de Passavant a bonne et reconnaissante mémoire, madame. Il sait que vous avez tenté de sauver la petite fille. Il s’en souviendra…
– Oui, certes ! dit ardemment le chevalier.
– Il a bonne mémoire, continua Saïtano. Il se souvient qu’une nuit, il y a douze ans de cela, je l’ai tenu, mort, sur ma table de marbre.
La reine devint livide. Passavant eut la vague impression qu’il se jouait près de lui, et pour lui, il ne savait quel terrible drame. Saïtano acheva :
– Il se rappelle cela… et il m’a pardonné !
Saïtano s’inclina profondément puis se recula. Quand le chevalier tourna la tête vers lui il avait disparu. Alors il lui sembla qu’un malaise l’écœurait et que la mort, tout à coup, venait de le toucher au front. Il leva les yeux vers la reine et saisit dans son œil sombre une si lugubre expression de menace que, d’instinct, il se raidit, la main à la garde de la rapière, prêt à tout ! Isabeau, brusquement, d’une voix altérée, parla :
– Pourquoi avez-vous dit que vous n’étiez pas le fils de Passavant-le-Brave ? Pourquoi maintenant dites-vous que cette petite fille était votre sœur, alors que c’était l’enfant de Laurence d’Ambrun recueillie par votre mère et à qui vous donniez, vous l’hospitalité au logis Passavant ?
Cette voix secoua le chevalier. Une rafale de terreur passa sur lui. Mais se redressant, tête à l’orage qu’il devinait, la physionomie changée, hérissée de menace et de défi :
– Pourquoi, madame ? C’est que j’ai été saisi, enfant, sans savoir pourquoi, et jeté au fond de la tour Huidelonne où je suis resté douze ans ! C’est que j’ai eu peur, je l’avoue, de retomber sous la griffe de ceux qui n’ont pas craint de murer un enfant tout vif dans une tombe ! C’est que de cette tombe je suis parvenu à sortir par un miracle dont Dieu seul peut-être sait le secret et que je croirais presque commettre un sacrilège en me livrant de nouveau à ceux qui m’ont volé douze ans de ma vie ! Pardonnez-moi, Majesté ! Et tenez compte que, connaissant depuis si peu de temps l’existence, l’air, la lumière et le soleil, j’ai si grand désir d’en voir et d’en savoir un peu plus avant de mourir…
– Ces gens ! dit Isabeau haletante. Ces gens dont vous parlez, désignez-les-moi !
– Je ne les connais pas.
– Vous ne les connaissez pas ? gronda Isabeau.
– Non, Majesté, non. Sans quoi, je ne
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