L'Hôtel Saint-Pol
Eh ! je le verrai bien.
Passavant reprit sa sérénité, boucla sa rapière, assura sa dague à sa ceinture, soupesa un instant le sac que Gringonneur lui avait apporté, l’enfouit soigneusement au fond d’un coffre, non sans y avoir puisé pour garnir son escarcelle, et enfin descendit à son tour.
Il marcha tout droit aux espions qui le virent venir et se touchèrent du coude.
– Maître Thibaud, cria Passavant, que boivent donc ces braves ?
– De l’hydromel ! fit Le Poingre en fendant l’air de son ventre pour accourir.
Les trois ne disaient rien. Mais ils avaient des figures mauvaises, l’œil en dessous. Passavant ne les regardait même pas.
– Pour combien en ont-ils bu ? demanda-t-il.
– Ma foi, dit Thibaud avec un commencement d’inquiétude, ils sont en train de vider leur sixième pinte.
– Eh bien, maître, apportez-en une septième et vous mettrez tout cela sur ma note.
– Là ! qu’est-ce que je disais ! songea Thibaud en s’en allant, tout pâle à l’idée de la prochaine ruine dont il était menacé.
Bruscaille, Bragaille et Brancaillon se regardaient effarés. Thibaud apporta la septième pinte d’hydromel sur la table, et Passavant :
– Videz-moi cela, mes braves.
En même temps, il se dirigea vers la porte, vivement. Les trois se levèrent, prompts et souples, mais presque aussitôt se rassirent, les lèvres serrées, le front barré d’inquiétude ; ils ne comprenaient pas le gibier qu’on leur avait donné à chasser. Il avait des feintes inaccoutumées, sans doute…
– Tenons-nous bien, se dirent-ils du regard, où il va nous échapper !
Passavant, en effet, n’était pas sorti.
Simplement, il avait été attiré vers la porte par un spectacle qui, sans doute, l’intéressait : une pauvre femme en guenilles, hâve, maigre à faire pitié, tenant un enfant par la main, tendait silencieusement la main aux passants, et un mendiant la malmenait, l’injuriait, menaçait d’appeler le guet pour la faire déguerpir. Passavant, d’un signe, appelait la malheureuse. Il ouvrit son escarcelle et lui donna un écu d’or.
Maître Thibaud qui avait vu le geste, eut un sourire de joie. Ses inquiétudes n’étaient pas fondées ! Son hôte avait la bourse bien garnie ! On pouvait satisfaire à ses caprices…
Passavant revint vers la table des trois drôles.
– À vous autres, maintenant ! dit-il. Cette septième pinte est-elle vidée ? Oui ? Eh bien, allez-vous-en !
– Nous en aller ! fit Bragaille, quand on est si bien ici !
– Et quand nous n’en sommes qu’à la septième pinte ! ajouta Brancaillon.
– C’est bon ! dit tout à coup Bruscaille, on s’en va !
– Ah ! ah ! fit le chevalier, tu as compris, toi.
Passavant se dirigea vers le fond. Arrivé au milieu de la salle, il se tourna et eut un sourire aigu :
– Si vous tenez à vivre votre vie, faites en sorte de ne plus m’épier, mes braves. Allez ! Pour cette fois, je vous pardonne. Vous direz à Mgr le duc de Bourgogne que je vous ai défendu de me suivre. Allez !
Brancaillon, debout, serra ses poings énormes et ses yeux s’injectèrent. Bragaille tirait doucement sa dague. Bruscaille les contint d’un geste, fit deux pas vers le chevalier :
– Nous avons ordre de vous suivre, c’est vrai. Mais nous avons ordre aussi de ne pas toucher un cheveu de votre tête. Sans quoi, vous sauriez ce qu’il en coûte d’avoir pour ennemis Bruscaille, Bragaille et Brancaillon. Adieu, mon gentilhomme ! On s’en va. Mais on se retrouvera !
Le chevalier haussa les épaules.
Les trois sacripants sortirent dans un grand bruit de jurons et de ferraille. Un instant plus tard, Passavant les vit qui, massés dans un recoin de la rue, gesticulaient entre eux et continuaient leur faction.
– Pauvres diables ! murmura-t-il. J’aurais tout aussi bien fait de les laisser ici…
Mais tandis qu’il essayait de s’intéresser aux faits et gestes des trois braves, il entendait au fond de lui, pareil à un tintement de glas, le nom, toujours le même nom qui lui revenait, obstiné, monotone et effrayant : l’Hôtel Saint-Pol. Il songeait :
– Qui peut bien être cette princesse ? Et pourquoi ce Gringonneur m’a-t-il fait un tel portrait de la reine ? Allons, quoi qu’il en soit, l’Hôtel Saint-Pol, c’est la demeure du roi, c’est la cour de France. Il s’agit d’y faire bonne figure. Holà, maître Le Poingre, cria-t-il, faites-moi donc venir
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