L'Hôtel Saint-Pol
de lui. D’un mot ambigu, il laissait tomber une promesse. Il distribua ainsi près de cinquante mille écus d’or, cent grades, emplois à la cour, abbayes, gouvernements. Effroyable était son anxiété, pendant qu’il cherchait à s’assurer des partisans sûrs et fidèles par les moyens qui, de tout temps, ont été employés – les seuls qui créent des amitiés là où l’air est trop empesté pour laisser fleurir l’amitié. Et tandis qu’il souriait, heureux, tranquille, sûr de sa puissance, il se disait avec effroi :
– Que se disent-ils ? Orléans et Bourgogne unis, c’est ma mort ! Que complotent-ils ?
Le duc de Berry se retourna, ne pouvant plus supporter le spectacle des gracieusetés dont s’accablaient le frère du roi et Jean de Bourgogne.
Il vit le roi tout seul sur son estrade, seul, affreusement seul, pitoyable marionnette que la couronne qu’il avait mise faisait plus sinistre.
– Eh bien ! gronda-t-il, contre Orléans et Bourgogne, unissons Valois et Berry !
Il se dirigea vers Charles VI.
Le roi était seul, comme l’avait vu le duc de Berry. En effet, Isabeau l’avait un instant examiné avec une perverse curiosité, sans que Charles eût paru la remarquer. Sans doute, elle entrevit on ne sait quoi de proche. Elle eut ce sourire terrible qui avait de si incroyables similitudes avec le retroussis de lèvres de sa tigresse Impéria. Elle se leva et l’infiniment gracieux dessin de sa révérence au roi s’érigea en lignes fuyantes. Le roi ne la vit pas. Elle descendit.
L’instant d’après elle était près de Passavant. Sa main délicate s’appuya au poing du chevalier soudain calmé. Elle reprit, comme un entretien que rien n’eût interrompu :
– Donc, votre vie est à moi…
– À vous, dit-il enivré.
– Votre pensée, votre force, tout. Sans discussion avec vous-même, bien ou mal, vous vous donnez à moi…
– Je me donne, prononça-t-il d’une voix faible. Sans discussion. Quoi que vous vouliez, vous, ce ne peut être que bien, même si cela me paraît mal, et je le veux…
Elle l’embrasa d’un regard. Il tressaillit à ce choc de flamme.
– Mon ennemie, vous la détruirez. L’Homme qui la garde et la fait invincible, ce dragon de la fée malfaisante, ce Champdivers, vous le tuerez. Et quant à elle, je vous ai dit que vous la verriez demain. Mais attendez. Peut-être allez-vous la voir tout à l’heure…
Ils se perdirent dans le tourbillon des groupes.
Le duc de Berry, donc, s’approcha du roi, du fantastique roi de France, tout seul, là-bas, sur l’estrade vide.
– Sire, dit le duc de Berry, cette couronne…
Le roi porta vivement la main à son front.
– Quoi ? fit-il.
– Ne vous semble-t-il pas qu’elle est déplacée au milieu de cette fête ? Ah ! sire, voyez en moi, qui seul ose vous parler à cœur ouvert, le sujet le plus dévoué. Cette couronne, sire, objet de tant de convoitises, je me suis institué son gardien fidèle. C’est pourquoi je parle à Votre Majesté et je lui dis : Sire, respectez la couronne de France, si vous voulez qu’elle apparaisse aux yeux du monde ce qu’elle est : l’insigne du pouvoir que Dieu a délégué à un homme…
– Quoi ? répéta Charles.
Le duc de Berry dissimula un geste de rage qui lui échappait.
« Je suis aussi insensé que lui ! songea-t-il. Chercher un tel appui contre cette formidable union de Bourgogne et d’Orléans probablement inspirée contre moi par la reine ! » – Sire, je voudrais vous parler seul à seul. Il se passe d’étranges choses à votre cour. Si Votre Majesté voulait regagner ses appartements, je m’empresserais de lui soumettre mes réflexions, résultante de mes veilles, de ma sollicitude.
Charles jeta un long regard sur la multitude, et murmura :
– Je crois que vous parliez de ma couronne, mon oncle. Elle est lourde à mon front…
– Déposez-la, sire !
Le mot à double entente, à double détente, échappa au duc de Berry.
– Lourde à mes pensées, continua le roi. Ô mes sombres pensées qui se dressent dans ma tête, pareilles à des fantômes ! Avez-vous vu des fantômes, duc ? Moi j’en ai vu. Ce sont des grimaces. Tout leur être n’est qu’une grimace de douleur. Leurs yeux sont vides. Leurs gestes ne sont que désolation. Je vous dis que je les ai vus. Et mes pensées sont toutes pareilles à eux.
– Calmez-vous, Sire. Rentrez. Je vous parlerai…
– Taisez-vous et
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