L'Hôtel Saint-Pol
son esprit affolé ?
Il la cherchait, et ne la voyait pas…
Et à mesure que les minutes glissaient, plus ardente se faisait la musique, plus libres se faisaient les gestes, les voix montaient, les yeux dardaient de soudaines flammes.
Des rires violents fusaient, parmi de nerveux éclats de voix, et le bruissement léger de tout à l’heure devenait une rumeur, les parfums étaient plus âcres, et plus lourde l’atmosphère.
Çà et là, il vit s’échanger de rapides, de furtifs baisers, et nul ne s’étonnait. Nul ne prenait garde que toutes ces jolies femmes maintenant plus belles semblaient s’offrir aux regards avec des provocations impurement gracieuses.
Et lui aussi subissait le coup de folie de la merveilleuse fête nocturne. Lui aussi comprenait que son imagination s’exaltait. Il voulait lui aussi serrer dans ses bras une de ces tailles fines, murmurer des paroles qu’il ignorait, – et il cherchait la princesse.
Tout à coup, ce monde exorbitant qu’il ne connaissait pas s’immobilisa. Ce fut pour lui une sensation extravagante, presque douloureuse. Il vit cette foule se figer sur place comme un régiment de marionnettes dont les ressorts se fussent brisés soudain, tous ensemble. Il vit toutes les têtes se pencher, tous les sourires se fixer, toutes les attitudes diverses muées en une unique attitude de révérence…
La porte à double battant venait de s’ouvrir…
Un huissier, d’une voix qui résonna avec des sonorités d’airain, lança à toute volée :
– La reine ! Place à la reine !…
Isabeau ! Cette formidable Isabeau dont Gringonneur lui avait tracé l’effrayant portrait ! Le chevalier se retourna tout d’une pièce pour la voir, et il fut pétrifié…
La princesse du bois de Vincennes, c’était la reine !
Les pages et les demoiselles d’honneur déjà s’étaient rangés autour de l’estrade sur laquelle Isabeau, d’un pas rapide, était montée. Elle apparut là, un instant, plus belle, plus radieuse, plus évocatrice de volupté, plus hardie aussi qu’aucune de ces femmes dont quelques-unes étaient si belles. Et elle était aussi la plus somptueuse de costume. Un instant, donc, elle domina la foule à demi prosternée, pareille à quelque figuration d’une Vénus jetant sur le monde le regard despotique de l’amour. Mais presque aussitôt, de cette voix chaude, grave et suave qui faisait grelotter les cœurs :
– Hé quoi ! Faut-il que ma venue arrête les ébats de tant de nobles et beaux danseurs ? Oh ! je ne prétends être ici que l’une de ces heureuses demoiselles, et je ne demande que ma part de plaisir…
Un frémissement courut sur les multitudes, comme ces souffles des vents d’été qui rident la face de l’Océan, et il y eut comme un soupir immense d’adoration. Et dans le même instant, plus joyeuse, plus ardente, se refit la mêlée des couples et des groupes.
Le sourire d’Isabeau rayonna.
Et tout à coup, le chevalier de Passavant se sentit défaillir. Elle descendait de l’estrade. Elle venait à lui. Elle s’approchait, si belle, si gracieuse, et si majestueuse à la fois que dans son cœur il cria :
– Ah ! misérable imposteur ! Je te rentrerai tes insultes dans la gorge, maître Gringonneur !
Et elle disait :
– Je veux, ah ! je veux me mêler aussi à de si charmants ébats. Quoi ! Personne pour conduire une pauvre princesse ? (Cent mains frénétiques se tendaient, implorantes, vers elle.) Votre main, monsieur !
Il y eut un recul. Mille regards terribles s’appesantirent sur le chevalier de Passavant : c’était lui l’élu de la reine ! Sa main trembla lorsqu’elle y appuya la sienne. En un temps inappréciablement court, une sourde rumeur se propagea d’un bout à l’autre de la salle immense. Les questions à voix basses, les sarcasmes, les défis murmurés. « – Qui est-ce ? – Un inconnu ? – D’où sort-il ? Son nom ? – Le nouveau favori ? » Passavant, à l’instant, retrouva son sang-froid. Son regard répondit aux regards. Des yeux, il accepta les défis furieux.
Isabeau fit ainsi le tour de la salle. Jamais elle n’avait distribué autant de sourires, laissé tomber de plus gracieuses paroles sur chacun de ses adorateurs enivrés. Mais, pour la première fois, depuis bien longtemps, on la vit alors prendre place sur le fauteuil de l’estrade sans se mêler aux danses, aux entretiens libres, ah ! libres d’une effrayante et charmante
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