L'Hôtel Saint-Pol
serais pas ici. Je serais à leur poursuite. Et si loin qu’ils aillent se cacher, je les trouverai, je vous jure ! Et quand je les aurai trouvés, c’est leur sang, goutte à goutte, qui paiera les heures de vie qu’ils m’ont prises ! Non, Majesté, je ne les connais pas !
Isabeau parut respirer. Les palpitations de son sein s’apaisèrent. Elle jeta sur le chevalier quelques regards furtifs, d’une indéfinissable expression. Peut-être se demandait-elle si elle ne devait pas le rejeter dans la Huidelonne ou le livrer au poignard de Bois-Redon. Mais sans doute, il y avait en elle un autre sentiment qui la dominait, un de ces sentiments qui se levaient et se développaient dans son ardente imagination, avec la rapidité des cyclones.
Elle reprit ce sourire d’enchantement qui lui donnait une irrésistible force de domination.
– Je regrette, dit-elle, de ne pas les connaître. Je les eussent punis, moi, et plus sévèrement que vous ne pourrez jamais le faire. Il est juste que je protège cette vie que vous avez exposée pour moi…
– Cette vie vous appartient, madame, répéta simplement le chevalier. Ah ! Majesté, continua-t-il d’un accent de frémissante émotion, vous dites qu’ils vous parlent tous ainsi… Mais moi, c’est avec mon cœur, avec mon cerveau, avec tout mon être, que je vous le dis. Pour ce que vous avez fait à Roselys, madame, je vous offre ma vie…
La reine tressaillit. Une flamme sombre éclaira une seconde ses yeux profonds, et elle murmura :
– Pour ce que j’ai fait à Roselys !…
De terribles pensées l’assaillirent. Si ce ne fut pas le remords, ce fut sans doute la terreur, et peut-être lui sembla-t-il que le destin lui donnait alors un avertissement. L’instant d’après, elle avait rejeté ces idées. Roselys était morte ; Saïtano le lui avait affirmé.
– Vous m’offrez votre vie, dit-elle. Je la prends. Êtes-vous donc décidé à me défendre si je suis menacée, à placer entre le malheur et moi la vivante cuirasse de votre cœur fidèle ?
– Ordonnez, Majesté ! dit Passavant enivré.
Elle se pencha, baissa la voix, l’enveloppa des effluves de sa caresse.
– Êtes-vous décidé à frapper mes ennemis ?… Dites ?… Écoutez, il y a à Paris, que dis-je ? il y a à l’Hôtel Saint-Pol un être qui est la damnation de ma vie. Plus de repos pour moi. Je sens que cet être m’a condamnée à mort. Je sais que je tomberai sous ses coups. Par le fer ou par le poison, je serai atteinte. Le crime est là, dans la royale demeure, qui me guette. Voulez-vous me sauver ?…
– Je le veux ! dit ardemment le chevalier.
– C’est une femme, continua Isabeau d’une voix plus basse.
– Une femme !…
– Déjà, vous hésitez ! Parce que c’est une femme ! Parce que je ne puis l’atteindre ! Parce que celui qui osera toucher à cette femme, à cette fille hypocrite, scélérate, encourra la mort ! Vous reculez, et vous dites que votre vie est à moi !…
– Une femme, Majesté, bégaya le chevalier.
– Oh ! n’ayez pas peur, il y a des hommes autour d’elle, et il vous faudra tirer l’épée. Il y a surtout le vieux Champdivers, qui est un rude dragon, je vous en préviens, car il a déjà mis à mal trois de mes plus fidèles amis, un soudard, une lame vivante, un terrible pourfendeur de crânes. Tuez-moi celui-là… et ensuite, pour la fille, nous verrons !
– Épée contre épée, madame, s’il en est ainsi, je me fais votre chevalier. Cet homme, je le provoquerai et il mourra de ma main puisque vous me dites qu’il veut votre mort. Mais cette fille… ne puis-je la connaître ?
– Je vous la montrerai, dit-elle. « Odette est perdue », ajouta-t-elle en elle-même.
Elle tendit sa main au chevalier qui s’inclina et la baisa, et une secousse l’ébranla de la tête aux pieds lorsqu’il sentit que cette main s’appuyait violemment sur ses lèvres.
– Allez, dit-elle de sa voix enivrante. Tenez-vous prêt. Jour et nuit, attendez mon messager. Lorsqu’il viendra vous chercher, c’est que l’heure de combattre sera venue… l’heure de me sauver, ou de mourir. Quant à la fille, je vous la montrerai dès demain. Car demain, chevalier, je vous attends non pas ici dans le palais du roi, dans cette foule où je n’ai pas un seul ami véritable, mais dans mon palais à moi, et alors, seule à seul, je pourrai mieux me faire comprendre, et vous saurez qui est Isabeau de
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