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L'Hôtel Saint-Pol

L'Hôtel Saint-Pol

Titel: L'Hôtel Saint-Pol Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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pas !
    Le Fou laissa tomber sur l’estrade le royal diadème et d’un rude coup de pied, l’envoya au loin devant lui. La couronne bondit, ricocha, roula. Les groupes affolés s’écartèrent en reflux violents et stupides, virent passer parmi eux ce bolide brillant qui était l’emblème du pouvoir, qui alla se heurter au pied d’une colonne de granit surmontée d’un satyre ricanant, et s’y brisa.
    En même temps, Charles tombait à la renverse dans son fauteuil en râlant :
    – Regardez mourir le peuple !…
    Ses yeux se révulsèrent. Ses genoux s’entrechoquèrent. Il claqua des dents.
    – Ils me tuent ! Ils m’égorgent ! Ils boivent mon sang ! Regardez-moi mourir !…
    Il eut un grand cri déchirant, ses bras se tordirent ; du fauteuil, il tomba sur le tapis de l’estrade, et l’on n’entendit plus que ses grognements funèbres, on ne vit plus que ses gestes frénétiques simulant dans le vide une lutte effroyable contre les mendiants du pouvoir qu’évoquait sa vision… À ce moment parut Odette de Champdivers.
    D’un coin lointain, Isabeau avait assisté à cette scène, froide, hautaine, impassible. Son sourire mortel semblait, de loin, activer le délire du roi, attiser le feu qui consumait le malheureux prince. Elle songeait :
    – Peut-être est-ce la fin, la dernière crise ! Et alors…
    Près d’elle, le chevalier de Passavant, tout bouleversé de pitié, considérait ardemment ce roi qui l’avait libéré de la Huidelonne, et son cœur tremblait.
    À l’instant où Charles étendu sur l’estrade poussa ce grand cri funèbre, le chevalier eut un mouvement comme pour s’élancer… Il demeura sur place, ébloui soudain, haletant de cette inexprimable émotion qui étreint l’homme à la gorge en ces rares minutes où la vie physique se transpose tout entière en cette vie seconde que domine le sentiment. L’Ange lui apparut. L’Ange de l’Hôtel Saint-Pol ! Celle qui était descendue dans son enfer pour lui dire : « Ne pleurez plus, car voici la fin de votre malheur. » Autour de lui, un long murmure d’admiration attendrie : « La petite reine ! Voici la petite reine !… » Il regarda Isabeau, et la vit flamboyante. Il eut peur. Il voulut se reculer. La reine le saisit par le bras, et d’une voix sourde :
    – Regardez ! La voici ; c’est mon ennemie mortelle. C’est elle qui, lentement, creuse ma tombe. C’est celle que vous devez détruire. Prenez garde ! Vous m’avez engagé votre vie !
    Ces paroles frappèrent l’oreille du chevalier, mais il n’en comprit pas le sens. Ce ne fut que plus tard qu’il les « entendit ». À ce moment, toute sa vie était dans ses yeux…
    Odette s’était agenouillée. Dans l’une de ses mains, elle prit une main du roi. Elle posa l’autre sur le front brûlant du Fou, et murmura :
    – Cher sire, ne me voyez-vous pas ? Allons, un peu de courage. Relevez-vous et je vais vous conduire chez vous…
    Et presque aussitôt l’incompréhensible miracle, une fois de plus, s’accomplissait. Sous la main d’Odette, le front du roi se rafraîchissait. En quelques instants, ces cris rauques qui jaillissaient de ses lèvres desséchées devinrent un faible murmure. Son corps, tordu par la souffrance, bientôt s’assouplit. Il ouvrit les yeux, parut étonné de se voir là, et se releva péniblement. Dans la vaste salle, nul ne bougeait. Un silence énorme pesait…
    Le roi s’appuya au bras d’Odette.
    – Emmenez-moi d’ici, murmura-t-il. Oh ! vite ! On meurt dans cette atmosphère de parfums et de poisons…
    – Venez, dit-elle. Appuyez-vous. Je suis forte. Venez, mon cher sire…
    – Place au roi ! cria la voix d’airain.
    Odette s’avançait doucement, soutenant le roi de France. On les vit disparaître, couple impressionnant d’où montaient les larges et profondes émotions de la pitié souveraine…
    Alors un soupir immense s’exhala de cette assemblée.
    Alors il sembla au chevalier de Passavant qu’on venait, d’un seul coup, d’éteindre toutes les cires de la salle.
    Il regarda autour de lui et ne vit plus Isabeau de Bavière.
    Comment se retira-t-il de la cohue ? Comment se trouva-t-il hors de l’Hôtel Saint-Pol ? Il ne le sut jamais. Lorsqu’il se revit soudain dans sa chambre, assis sur le coffre, immobile, tout raide, le jour filtrait à travers les verrières dont les mailles de plomb, sur le plan de sa rêverie, prenaient la forme d’une toile d’araignée

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