L'Hôtel Saint-Pol
allez-vous-en. Je veux être seul pour voir mes pensées.
Si peu roi que fut Charles, il était roi. Il avait dit : Je veux. Le duc de Berry s’inclina très bas, marmotta quelque chose encore où il était question de couronne, d’entretien particulier et de dévouement, et il s’enfonça dans le fourré des foules, l’âme pleine de terreur, de rage, de fureur.
Le roi songeait.
– Lourde… combien lourde ! Est-ce de l’or ? Est-ce du fer ? Qu’importe, c’est un métal sournois et lâche qui vous rafraîchit d’abord le front, pour se mettre ensuite à le serrer jusqu’à faire éclater la tête. Pourquoi une couronne, « à moi » et non à d’autres ? Quel mal ai-je fait pour être condamné à la couronne ?
Il se mit à trembler. Le frisson glacial de la crise courut le long de son échine. Il résistait pourtant, essayait encore de vaguement diriger sa pensée insurgée.
Et tout à coup, il fut debout, écumant, et hurla :
– Pourquoi une couronne à moi et non à vous ?
Ce fut un coup de tonnerre dominant le tumulte d’une bataille. Il y eut dans la salle immense, où l’orgie battait à tous les angles ses ailes de flamme, le silence morne et stupéfait de fous brusquement ramenés à la raison. Et la sensation fut inoubliable, sinistre, macabre, – la sensation que tous ces êtres raisonnables, hommes, femmes, princes, ducs, capitaines, c’étaient des fous, et que lui, le fou, c’était, dans cette assemblée de délire, le seul être raisonnable. La voix du fou, comme un grand courant d’air pur, balayait l’ivresse. Il reprit :
– Et pourquoi des couronnes ? Qui est le maître ? Est-ce moi ? Est-ce vous ? Personne n’est maître ! Je le sais et les fantômes de mes nuits me l’ont dit. Maîtres ! dit-il avec un rire strident. Maîtres de quoi ? De qui ? Et qui a décrété que quelqu’un serait maître ? Parlez, je veux savoir ! Vous vous taisez, Bourgogne ! Berry ! Orléans ! Vous tous qui voulez être les maîtres, vous ne pouvez dire pourquoi vous le seriez ! Par Notre-Dame et les saints, c’est à mourir de rire, avortons !…, Chiens rampants, vous prétendez vous imposer à l’admiration des hommes ! Vous aurez seulement leur haine, et si vous saviez en quel océan de mépris vous vous débattez, vous auriez pitié de vous-mêmes !
La voix du Roi-Fou tonnait.
Il ne savait ce qu’il disait. Les paroles jaillissaient de ses lèvres brûlantes, sans qu’il en comprît le sens, comme autrefois, dans le temple sacré du Delphicus, parlait l’oracle délirant.
La masse énorme des gentilshommes écoutait sans comprendre.
Mais la voix rauque, rude, puissante, leur secouait le cœur.
– Alors, avortons, il vous faut la puissance ? Vraiment ! C’est à mourir de rire, de voir vos mines confites quand vous parlez du pouvoir, de la puissance et de la nécessité de diriger les hommes, et de vos nobles ambitions, sacripants ! Alors, vraiment, vous éprouvez, vous dites que vous éprouvez le besoin de dominer, d’être vus de loin, et vous vous criez à vous-mêmes que c’est là une grande joie, une belle satisfaction ! Vous mentez, chiens ! Vous n’avez même pas cela dans le ventre. Si c’est cela que vous avez, pourquoi vous et non pas d’autres ? C’est donc la guerre d’homme à homme, au poignard, au poison, à la hache, à l’échafaud, à la corde, à la calomnie, à toutes armes ? Mais non, sacripants ! Ce qui vous mène, c’est l’orgie. Ce qui vous tourmente, mendiants de jouissances…
« Je vous dis que c’est à mourir de rire, voleurs, truands ! Je vois les peuples, troupeaux immenses cherchant où paître un peu de bonheur. Où est l’herbe du bonheur ? Cherchez-la, peuples stupides. Par pitié, par mépris, vous vous laissez voler un peu de puissance, un peu d’argent, et vous haussez les épaules devant vos maîtres… moi je fais mieux, je leur donne ma couronne !
D’un geste frénétique, il arracha la couronne de sa tête, la souleva très haut, dans ses deux mains. Son visage convulsé fit reculer la foule, et son rire glaça les plus braves. Il vociféra :
– Je n’en veux plus ! Qui la veut ! Ramasse, mon frère ! Ramasse, mon oncle ! Ramasse, mon cousin ! Ramassez, sacripants ! À plat ventre, mendiants de pouvoir ! C’est moi le peuple de France ! Tenez, prenez, mangez, buvez, gorgez-vous, pauvres mendiants de puissance ! Prenez ! Voici la couronne, je n’en veux
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