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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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reconnaissait que celui de l’Île du Fer était encore le meilleur candidat, vu que – Roberto l’avait déjà su par le docteur Byrd – là l’aiguille du compas de route ne fait pas de déviations, et cette ligne passe par ce point très proche du Pôle où les montagnes de fer sont plus hautes. Ce qui est certainement un signe de stabilité.

    Alors, pour résumer, si nous acceptions que le père Caspar était parti de ce méridien, et qu’il avait trouvé la bonne longitude, il suffirait d’admettre que, en dessinant bien la route comme navigateur, il avait fait naufrage comme géographe : la Daphne n’était pas à l’ancre à nos îles Salomon mais quelque part à l’ouest des Nouvelles-Hébrides, et amen. Pourtant, il me déplaît de raconter une histoire qui, nous le verrons, doit se dérouler sur le cent quatre-vingtième méridien – autrement elle perd toute saveur – et accepter au contraire qu’elle se déroule de Dieu sait combien de degrés plus de ce côté-là ou plus de ce côté-ci.
    Je tente alors une hypothèse que je défie tout lecteur de défier. Le père Caspar s’était trompé au point de se trouver sans le savoir sur notre cent quatre-vingtième méridien, je veux dire sur celui que nous calculons depuis Greenwich, le dernier point de départ au monde à quoi il aurait pu penser, car c’était la terre de schismatiques antipapistes.
    En ce cas, la Daphne se serait trouvée aux Fidji (où les indigènes sont précisément très foncés de peau), juste sur le point où passe aujourd’hui notre cent quatre-vingtième méridien, c’est-à-dire à l’île de Taveuni.
    On s’y retrouverait en partie. La silhouette de Taveuni présente une chaîne volcanique, comme la grande île que Roberto voyait à l’ouest. Si ce n’était que le père Caspar avait dit à Roberto que le méridien fatal passait exactement devant la baie de l’Île. Or, si nous nous trouvons avec le méridien à l’est, nous voyons Taveuni à l’orient, pas à l’occident ; et si l’on voit à l’ouest une île qui semble correspondre aux descriptions de Roberto, alors nous avons bien sûr à l’est des îles plus petites (moi je choisirais Qamea), mais le méridien passerait dans le dos de qui regarde l’Île de notre histoire.
    La vérité est qu’avec les données que nous communique Roberto, il n’est pas possible de vérifier où avait fini la Daphne . Et puis toutes ces petites îles sont comme les Japonais pour les Européens et vice versa : elles se ressemblent toutes. J’ai seulement voulu essayer. Un jour j’aimerais refaire le voyage de Roberto, à la recherche de ses traces. Mais un compte est ma géographie et un autre compte son histoire.
    Notre unique consolation, c’est que toutes ces finasseries sont absolument insignifiantes du point de vue de notre incertain roman. Ce que le père Wanderdrossel dit à Roberto c’est qu’ils sont eux sur le cent quatre-vingtième méridien, qui est l’antipode des antipodes, et là, sur le cent quatre-vingtième méridien, il y a non pas nos îles Salomon, mais son Île de Salomon. Qu’importe au fond qu’elle soit là ou qu’elle n’y soit pas ? Cette histoire sera, si l’on veut, celle de deux personnes qui croient y être, non pas de deux personnes qui y sont, et pour écouter des histoires – c’est un dogme parmi les plus libéraux – il faut suspendre l’incrédulité.
    Par conséquent : la Daphne se trouvait devant le cent quatre-vingtième méridien, exactement aux Îles de Salomon, et notre Île était – d’entre les Îles de Salomon – la plus salomonienne, comme salomonien est mon verdict, par quoi trancher une fois pour toutes.

    « Et alors ? avait demandé Roberto à la fin de l’explication. Vous pensez trouver dans cette île toutes les richesses dont parlait ce Mendaña ?
    — Mais ce sont là Lügen der spanischen Monarchy ! Nous sommes devant le plus grand prodige de toute la humana et sacrée histoire, que tu pas encore comprendre peux ! À Paris tu regardais les dames et suivais la ratio studiorum des épicuriens, au lieu de réfléchir sur les grosses miracles de ce notre Universum, que le Sanctissime Nom de son Créateur fiat semper loué !

    Or donc, les raisons pour lesquelles le père Caspar était parti n’avaient pas grand-chose à voir avec les intentions de rapine des divers navigateurs d’autres pays. Tout provenait du fait que le père Caspar était en train d’écrire une œuvre

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