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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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serait située trop en bas, à l’ouest des Nouvelles-Hébrides, dans une zone où n’apparaissent que des bancs de coraux, ceux qui deviendraient les Récifs d’Entrecasteaux.
    Le père Caspar pouvait-il calculer à partir d’un autre méridien ? Sûrement. Comme dira Coronelli à la fin de ce siècle-là dans son Libro dei Globi , le premier méridien, « Eratosthène le localisait aux Colonnes d’Hercule, Martin de Tyr aux Îles Fortunées, Ptolémée dans sa Géographie a suivi la même opinion, mais dans ses Livres d’Astronomie il l’a passé par Alexandrie d’Egypte. Parmi les modernes, Ismaël Abul-Fidâ le note à Cadix, Alphonse à Tolède, Pigafetta et Herrera ont fait de même. Copernic le situe à Frauenburg ; Reinhold à Mont Royal, ou Konigsberg ; Kepler à Uraniborg ; Longomontanus à Copenhague ; Lansbergius à Goes ; Riccioli à Bologne. Les atlas de Jansen et Blaeu à Mont du Pic. Pour continuer l’ordre de ma Géographie, j’ai placé dans ce Globe le Premier Méridien dans la partie la plus occidentale de l’île du Fer, comme aussi pour suivre le Décret de Louis XIII, qui avec le Conseil de Géo en 1634 le délimita dans ce même lieu.
    Cependant, si le père Caspar avait décidé de ne pas observer le Décret de Louis XIII et avait placé son premier méridien, mettons, à Bologne, alors la Daphne aurait jeté l’ancre plus ou moins entre Samoa et Tahiti. Mais là les indigènes n’ont pas la peau foncée à l’instar de ceux qu’il disait avoir vus.
    Pour quelle raison adopter la tradition de l’Île du Fer ? Il faut partir du principe que le père Caspar parle du Premier Méridien comme d’une ligne fixe établie par décret divin dès les premiers jours de la création. Par où Dieu aurait jugé naturel de la faire passer ? Par ce lieu d’incertaine localisation, certainement oriental, qui était le jardin de l’Eden ? Par la Dernière Thulé ? Par Jérusalem ? Personne jusqu’alors n’avait osé prendre une décision théologique, et justement : Dieu ne raisonne pas à la manière des hommes. Adam, pour dire, était apparu sur la terre quand il y avait déjà le soleil, la lune, le jour et la nuit, et donc les méridiens.
    La solution ne devait donc pas être en termes d’Histoire, mais bien d’Astronomie Sacrée. Il fallait faire coïncider la dictée de la Bible avec les connaissances que nous avons des lois célestes. Or, selon la Genèse, Dieu crée avant tout le ciel et la terre. À ce point, il y avait encore les ténèbres sur l’Abîme, et spiritus Dei fovebat aquas , mais ces eaux ne pouvaient pas être celles que nous connaissons, que Dieu sépare seulement le deuxième jour, divisant les eaux qui sont au-dessus du firmament (d’où nous viennent encore les pluies) de celles qui sont au-dessous, c’est-à-dire des fleuves et des mers.
    Ce qui signifie que le premier résultat de la création était Matière Première, informe et sans dimensions, qualités, propriétés, tendances, dénuée de mouvement et de repos, pur chaos primordial, hyle qui n’était encore ni lumière ni ténèbre. C’était une masse mal digérée où se confondaient encore les quatre éléments, ainsi que le froid et le chaud, le sec et l’humide, magma en ébullition qui explosait en gouttes ardentes, telle une casserole de haricots, tel un ventre diarrhéique, un tuyau engorgé, un étang sur lequel se dessinent et disparaissent des ronds d’eau par l’émersion et l’immersion subites de larves aveugles. À telle enseigne que les hérétiques en déduisaient que cette matière si obtuse, résistante à tout souffle créatif, était éternelle au moins autant que Dieu.
    Et quand même ce serait, il fallait un fiat divin afin que d’elle et en elle et sur elle s’imposât l’alternance de la lumière et des ténèbres, du jour et de la nuit. Cette lumière (et ce jour) dont on parle au deuxième stade de la création n’est pas encore la lumière que nous connaissons nous, celle des étoiles et des grands luminaires, qui ne sont créés que le quatrième jour. C’était la lumière créative, l’énergie divine à l’état pur, telle la déflagration d’un baril de poudre, qui d’abord ne sont que granules noirs, comprimés dans une masse opaque, et puis d’un seul coup c’est une expansion de flammes, un concentré d’éclat qui se répand jusqu’à son extrême périphérie, au-delà de quoi se créent par contraste les ténèbres (même si

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