L'Impératrice indomptée
gros nuage noir sur le voyage. Le 28 mai, au château d’Ofen, la petite Sophie tombe malade. On n’a pas le courage de rappeler les parents qui séjournent, à ce moment, à Debreczin. Le 29 mai, il faut pourtant en venir là : l’enfant est morte d’une fièvre mystérieuse. Les souverains interrompent les réceptions et, de Csege, sur la rive gauche de la Theiss, regagnent Ofen. Le lendemain, ils sont à Laxenburg, près de Vienne. Élisabeth montre un tel désespoir que son entourage est effrayé. Avec son exaltation coutumière, elle s’adresse les plus vifs reproches ; elle s’accuse d’avoir tué sa fille en l’ayant emmenée. Rien ne semble la consoler. De retour à Schönbrunn, elle s’enferme pendant des mois et refuse de voir qui que ce soit. Tous les témoignages soulignent qu’elle pleure du matin au soir et parle continuellement de son enfant. Elle a surtout très peur de revoir sa belle-mère.
Malgré la réserve pleine de tact qu’affiche l’archiduchesse devant le chagrin de sa belle-fille, Élisabeth croit discerner dans chacun de ses ordres, sous chacune de ses paroles, le reproche caché qu’un tel malheur ne serait pas arrivé si l’on avait écouté ses conseils dictés par l’expérience. À dix-neuf ans, Élisabeth a l’impression d’être mariée depuis dix ans. Aussi ne comprend-elle pas que Sophie conserve à son égard l’attitude d’une mère sage et raisonnable, la traitant comme une jolie enfant, dépourvue de tout jugement.
Devant le désespoir de l’impératrice, la duchesse Ludovica se décide à venir à Laxenburg avec trois de ses filles pour l’égayer et la distraire un peu. Un tel déplacement s’impose car la douleur de Sissi prend, par moments, des formes tout à fait extraordinaires. Elle n’a jamais beaucoup aimé le monde mais, maintenant, elle ne laisse plus approcher que l’empereur, ne souffre aucune compagnie quand elle va en promenade ou monte à cheval, et se replie de plus en plus.
Six mois plus tard, elle n’a toujours pas surmonté sa douleur. L’empereur écrit à sa mère : « La pauvre Sissi reste très émue par tous les souvenirs qui l’entourent ici [à Vienne] en chaque lieu, et elle pleure beaucoup. Hier, Gisèle était assise près de Sissi, dans le petit fauteuil rouge de notre pauvre petite, celui qui se trouve dans le bureau, et nous avons pleuré ensemble tous les deux, tandis que Gisèle, ravie, riait gentiment de cette nouvelle place d’honneur. »
En décembre 1857, apparaissent les signes, longtemps attendus, d’une nouvelle grossesse de l’impératrice. Celle-ci doit, à la grande satisfaction de Sophie, renoncer à ses cures d’amaigrissement et à sa passion pour l’équitation, et les remplacer par de longues promenades à pied, où François-Joseph l’accompagne aussi souvent que son emploi du temps le lui permet. Les principaux spécialistes de Berlin et de Prague sont appelés en consultation. S’ils en avaient eu le courage et la franchise, sans doute eussent-ils admis que, dans son état de fatigue nerveuse, l’impératrice n’était pas assez bien portante pour supporter une nouvelle grossesse. Mais elle est maintenant obsédée par la nécessité de donner un héritier à la Couronne. À peine son état est-il confirmé, qu’elle devient aussi docile qu’un enfant, obéissant en tout point aux prescriptions des médecins et demandant à lire les lettres qui, venues de tout l’empire, apportent des recettes, des prières et des charmes pour assurer la naissance d’un garçon.
Le jour critique approche. Le 21 août 1858, l’archiduchesse reçoit soudain un télégramme de Laxenburg : « Sa Majesté l’impératrice est sur le point d’accoucher. » À l’instant même, elle part pour Laxenburg. Son premier soin est de faire exposer le saint sacrement à la chapelle du château. À dix heures du soir, Élisabeth ressent de très fortes douleurs et elle, qui lors de ses premiers accouchements a à peine gémi, pousse des cris déchirants, tandis que la mère de l’empereur et la comtesse Esterhazy tombent à genoux en pleurant et priant pour elle. L’accouchement est très difficile. À dix heures et quart enfin, la pauvre impératrice est délivrée. « Est-ce un fils ? » demande-t-elle d’une voix faible et toute craintive. « La sage-femme Gruber ne le sait pas encore », répond François-Joseph, craignant que la joie lui soit néfaste. À quoi Élisabeth, découragée,
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