L'Impératrice indomptée
répond : « Ah ! c’est sûrement encore une fille ! » Mais elle a tort.
Le matin du 22 août 1858, cent un coups de canon annoncent aux Viennois que le trône a reçu un héritier. L’heureux père passe au cou du frêle bébé, couché dans son berceau, le cordon de l’ordre de la Toison d’Or. La mère est dans un état de grande faiblesse. Elle n’entend rien des bruits de la fête, de l’animation qui remplit les rues de la capitale célébrant l’événement. Elle se sent enveloppée d’un nuage d’affection, d’indulgence, de sympathie ; la mère de l’empereur est comme métamorphosée lorsqu’elle apparaît au chevet de Sissi. Ces délicates attentions, cette bienveillance soudaine font presque mal à la jeune femme. Puis elle voit des mains étrangères se saisir de l’enfant... Elle, Élisabeth, l’a mis au monde, mais on le lui enlève, il ne lui appartient déjà plus : le protocole de la cour le veut ainsi... Accablée par un sentiment d’impuissance, elle ne s’estime pas assez forte pour entrer en lutte, revendiquer le droit de garder son fils ; elle se sent très souffrante. Le petit Rodolphe grandira auprès de sa « Wowo », la baronne de Welden, sa gouvernante.
Longtemps, Sissi va demeurer étrangère à la joie causée par la venue de son fils. Elle semble curieusement détachée, comme si la fatigue même de la grossesse l’avait vidée de toute émotion. Elle est longue à se remettre, elle a beaucoup de lait, ses seins lui font mal et elle demande aux médecins de lui laisser nourrir son enfant. Mais le rôle a déjà été accaparé par une Tyrolienne qui, comme toutes les femmes de la nursery impériale, a été soigneusement choisie par l’archiduchesse Sophie. Et, cette fois, Élisabeth n’a même pas l’énergie d’objecter quoi que ce soit.
La période n’est d’ailleurs pas à la sécurité. La guerre, qui menace dans le Piémont depuis le début de l’année, éclate lorsque le prince Rodolphe n’a que huit mois, François-Joseph part immédiatement aux armées. La séparation est très dure. Le 31 mai 1859, il écrit : « Sissi, mon petit ange adoré ! Je viens d’arriver ici et je consacre mes premières minutes à te dire combien je t’aime et soupire après toi et les enfants. Si seulement j’étais sûr que tu prendras soin de ta santé comme tu l’as promis ! Tâche de te distraire le plus possible pour ne pas m’attrister. » Aux prises avec sa belle-mère, Élisabeth le supplie de l’accepter à son quartier général de Vérone. François-Joseph lui répond, le 2 juin : « Mon cher ange ! Je ne puis accéder à ton désir... Ne te tourmente pas, ménage-toi, mon ange adoré... » Troublée par de tristes pressentiments, Élisabeth s’isole ou fait de longues randonnées à cheval avec le maître écuyer Henry Holmes.
Les succès des armées franco-sardes à Palestro et Turbigo accablent l’impératrice ; la défaite de Magenta la désespère. Le 8 juin, Napoléon III entre dans Milan. Lors de la grande bataille qui suit, à Solferino, le 24 juin, François-Joseph, impressionné par la déroute des troupes hongroises, ordonne prématurément la retraite. Il conclut trop hâtivement aussi un armistice, suivi de la signature de la paix à Villafranca, le 11 juillet. Au prince Napoléon qui lui apporte à Vérone la rédaction définitive du traité de paix, il déclare : « Je fais un immense sacrifice ; la Lombardie était la plus belle de mes provinces. »
Le retour à Vienne est traumatisant : François-Joseph rentre fermé, prêt à s’éloigner tant de sa mère que de sa femme. Il ne consent pas à avouer sa défaite. Or, le regard naïf de Sissi est clairvoyant, et son intelligence plus perspicace que la pseudo-sagesse de son entourage souvent aveuglé par maints préjugés. Ainsi, pour la première fois, elle s’éloigne de la capitale et de la cour en 1861. On a souvent interprété cette décision comme le fait de ne pas pardonner le désastre, qui aurait été pour elle la révélation de la médiocrité de son époux. À moins que l’idée de la défaite n’ait été intolérable à une jeune femme habituée à triompher sans combattre, à paraître pour vaincre toutes les préventions et conquérir tous les coeurs. Hormis celui de sa belle-mère.
En fait, après Solferino, Sissi n’a plus aucune foi dans l’avenir de l’Autriche et sent que tout ce qu’elle tenterait pour l’assurer
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