L'Impératrice indomptée
les journées lui paraissent beaucoup plus longues qu’autrefois ; en elle, s’est creusé un vide immense. La petite Sissi, princesse de Possenhofen, et l’impériale fiancée d’Ischl ne sont plus. Elle a perdu sa naïveté, son innocence qui la caractérisaient. Elle ne se sent ni une impératrice, ni une épouse, ni une mère. Comment remplir ce vide terrible ?... Elle aime la nature, et pour la première fois, éprouve l’attirance mystérieuse et puissante de la mer ; mais l’incessant battement de ce flot dont la force et la beauté se brisent en touchant la rive, l’agite et l’inquiète. Elle essaie de lire. À Vienne, elle n’avait pas la tranquillité voulue pour cela. Elle peut enfin s’y adonner avec passion.
La visite de sa soeur Hélène la distrait joyeusement. C’est grâce au temps passé avec elle, bien plus qu’au doux climat de Madère, qu’elle songe au retour. L’esprit apaisé, elle peut lire avec calme les lettres qu’elle reçoit de l’empereur, et la chambre d’enfants de la Hofburg commence à lui manquer. Le 18 mai 1861, le yacht Victoria et Albert que la reine d’Angleterre a mis à sa disposition rencontre le bateau de l’empereur, venu au-devant d’elle. Ils débarquent à Miramar. On sent chez François-Joseph la bonne volonté évidente de faciliter le retour de sa femme. À Baden, elle revoit ses enfants, qui accompagnent la mère de l’empereur. Vienne lui prépare une réception chaleureuse.
Elle a grand plaisir à revoir Gisèle et Rodolphe, mais il lui faut constater qu’ils sont complètement tombés sous l’influence de l’archiduchesse Sophie. Lorsque, de temps à autre, elle risque une objection, sa belle-mère lui fait comprendre qu’elle a été si longtemps loin de ses enfants qu’il a bien fallu que quelqu’un s’occupât d’eux et qu’on en resterait à la méthode adoptée en son absence. Ainsi donc, la paix ne peut se maintenir une journée entière. Les anciens griefs se réveillent et, plus que jamais, Élisabeth ressent l’hostilité froide des courtisans accrédités auprès de sa belle-mère. Elle déclare qu’elle ne peut plus rester à la Burg où règne l’archiduchesse, et Leurs Majestés se transportent, dès le 29 mai, à Laxenburg. Bientôt on apprend que l’impératrice souhaite vivre dans le plus grand calme et dans une complète retraite. Les réceptions à la cour, le voyage et le changement de climat l’ont tellement épuisée qu’elle a besoin de beaucoup de ménagements. On évoque pour elle le besoin de passer le prochain hiver dans le Midi. Tous les banquets à la cour et toutes les réceptions envisagées pour les jours suivants sont subitement annulés. Le 19 juin, on annonce que l’état de l’impératrice inspire les plus vives inquiétudes : elle a recommencé à tousser, elle est faible et manque d’appétit. C’est vrai, les médecins ordonnent à nouveau un départ immédiat. Elle est à peine arrivée depuis quatre semaines, qu’elle doit repartir. Les rumeurs les plus insensées courent la ville.
Si certains soupçonnent une maladie diplomatique, quelques chancelleries se montrent pessimistes : « L’état de l’impératrice est très affligeant, rapporte un ambassadeur dans une dépêche du 30 juin 1861. Et je crains qu’elle aille à Corfou pour y mourir... Telle est du moins l’opinion de l’entourage de Sa Majesté... Elle s’en va samedi, et l’empereur l’accompagnera, si possible, jusqu’à Trieste... Je n’imagine pas comment elle pourrait se loger confortablement à Corfou... » Le docteur Fischer, qui a été médecin de la cour chez les Wittelsbach pendant près de vingt ans, sait combien les déséquilibrés de cette famille peuvent passer rapidement de la gaieté la plus folle au désespoir le plus noir. Il a aussi une vue moins pessimiste que ses savants collègues de Vienne. À son avis, Élisabeth a abusé de ses forces avant d’être vraiment remise : elle a besoin d’un repos absolu.
Son diagnostic est juste et Corfou va faire merveille. Sissi est amoureuse de la beauté – à vrai dire, de la sienne surtout, dont on parle dans toute l’Europe –, mais aussi amoureuse de celle de Corfou, au charme embaumé de fleurs d’oranger et illuminé par des masses de genêts dorés. Elle a le coup de foudre pour l’île. En 1887, à l’âge de cinquante ans, elle achètera une ancienne villa vénitienne tout à fait charmante, perchée au bord d’un
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