L'Impératrice indomptée
magnifique ! Élisabeth était ravissante à cheval. Ses cheveux étaient roulés en lourdes tresses autour de sa tête et elle portait un chapeau haut de forme. Son costume paraissait moulé sur son corps ; elle portait des bottes à lacets avec de minuscules éperons et enfilait trois paires de gants les unes sur les autres ; l’inévitable éventail était toujours sur la selle. J’appréciais vivement les longues chevauchées avec l’impératrice qui parfois s’amusait à se déguiser en garçon. Bien sûr, je devais suivre son exemple ; je me souviens encore de la honte qui me ravagea lorsque je me mis pour la première fois en pantalon. Élisabeth s’imaginait qu’à Gödöllö, tous ne connaissaient pas ce caprice absurde ; en vérité, tout le monde en parlait. François-Joseph était le seul, je crois, à ne pas avoir la moindre idée de ce secret de Polichinelle. »
Gödöllö est devenu le domaine d’Élisabeth et son refuge. Là, ne règnent que ses lois, qui ignorent presque totalement les questions de préséance et de protocole. Les visiteurs ne sont pas choisis en fonction de leur noblesse et de leur rang, mais de leurs capacités équestres. Élisabeth rassemble autour d’elle l’élite des cavaliers de l’empire, de jeunes et riches aristocrates qui passent quasiment la totalité de leur temps à chasser à courre, car ils ne sont soumis à aucune nécessité de travailler.
Elle fait aussi venir des tsiganes. Elle aime leur musique, et passe avec générosité et bonne humeur sur les désagréments qu’apporte ce genre de visites. Les laquais et les valets de chambre de l’empereur sont horrifiés : « On voyait rôder à Gödöllö toute une racaille peu recommandable, des hommes, des femmes, des enfants crasseux et déguenillés. L’impératrice invitait souvent au château toute une troupe, qu’elle faisait nourrir et à laquelle on remettait encore de nombreuses victuailles. » Tout ce qui est curieux et anormal suscite son intérêt. Un jour, elle fait envoyer à Gödöllö la dernière attraction du cirque d’Ofen, deux jeunes soeurs siamoises noires. « Mais l’empereur éprouvait une telle horreur à cette seule pensée qu’il a absolument refusé de les voir », écrira Élisabeth à sa mère qui a, à cause de son mari, une longue habitude de ce genre de situations. Un historien notera même : « Elle avait fait de Gödöllö une sorte de pétaudière personnelle. »
Bien qu’elle s’adonne intensément à l’équitation, à l’exclusion presque totale du reste, et s’entoure essentiellement de cavaliers, elle finira pourtant par se lasser de Gödöllö. La saison de chasse est trop courte – elle commence après les moissons, c’est-à-dire à la fin de septembre, et s’achève traditionnellement le 3 novembre, pour la Saint-Hubert – et les forêts sont trop touffues pour y chasser aisément. Il n’y a pas assez d’obstacles : surtout de petits fossés, sans rapport avec les hautes barrières que l’on franchit dans la chasse à courre à l’anglaise, le nec plus ultra pour les cavaliers de la haute société autrichienne.
Élisabeth a une fois choqué Sophie en invitant à la Hofburg une reine de cirque bien connue. Mais elle veut en devenir une elle-même. À l’horreur de la cour et au divertissement de quelques élus, elle s’exhibe dans un cirque à elle. Habillée comme un beau jeune garçon, en culotte de satin noir, chemise de soie blanche, bas noirs, escarpins de cuir chromé, elle crève des cerceaux de papier en sautant à pieds joints sur le dos d’un cheval au galop à l’instar d’une reine habituée des « chapiteaux ». Sur son superbe Lippizan « Maestoso », elle se livre à la haute école, fait même des « cabrioles » et des « croupades ». Elle s’adonne à l’équitation avec rage, sautant haies, halliers et échaliers au risque de se rompre le cou, arrachant aux spectateurs des cris d’admiration.
Le duc Max encourage la conduite d’Élisabeth. En des circonstances spéciales, il joue même le rôle de maître de cérémonie. Il n’est pas mauvais exécutant lui-même, en dépit de son âge. Le cirque, adjacent aux écuries royales, est construit d’après les plans d’Élisabeth. Elle le fait garnir de glaces, son initiale et sa couronne figurent sur les portes. Autour de la piste se rangent des fauteuils de velours vert jade confortablement capitonnés. C’est un jouet rare et
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