L'Impératrice indomptée
et généreux, il n’est pas un souhait d’Élisabeth qu’il n’ait accompli.
En simple costume de ville, elle part faire incognito une promenade dans la Kärtnerstrasse, accélérant le pas quand les gens la saluent. Elle entre dans une boutique, achète du parfum, l’emporte dans un joli paquet, comme elle faisait à Munich. Elle revient au palais avec ses paquets, qu’elle refuse de laisser prendre par aucun des nombreux laquais. Dans ses appartements personnels, elle a le plaisir de déballer ses acquisitions, puis d’essayer le parfum comme l’aurait pu faire n’importe quelle personne de son âge, les yeux et les joues animées, le coeur battant un peu d’un plaisir naïf.
Lorsqu’elle se rend à Paris en 1862, elle se rend rue de la Paix chez Worth. Les modes féminines de cette année-là sont créées principalement pour l’impératrice Eugénie. Corsages serrés, manches bouffantes, jupes volumineuses et raides ornées de falbalas étonnants – volants de dentelles rares –, festons de riches ornements, traînes chargées de broderie. Élisabeth dessine elle-même quelques robes spéciales que la maison Worth exécute. Elles sont de style grec, collant au corps, tout en laissant les mouvements libres, en réalité des robes qui sont plutôt 1932 que 1862. Ces vêtements, toutefois, elle ne les portera jamais en public. Elle n’est pas encore suffisamment sûre de son goût pour aller à l’encontre des modes en vogue.
En matière d’argent, elle se comporte encore comme une enfant. Ainsi, elle n’a aucune notion de la valeur des choses. Le 15 décembre 1872, elle se rend à Pest. Elle descend du château d’Ofen en ville en simple funiculaire et, en route, elle demande à Marie Festetics qui l’accompagne :
— Avez-vous de l’argent sur vous ?
— Oui, Majesté.
— Combien ?
— Pas beaucoup, vingt florins.
— Mais c’est beaucoup, répond Élisabeth.
Elle veut aller chez Kugler, le confiseur en vogue, faire des achats pour Marie-Valérie. Sa Majesté arrive sans trop d’encombre. Dans la pâtisserie, tout le monde est ahuri. Elle achète comme une enfant et, une fois toute la marchandise réunie, elle demande :
— Y en a-t-il déjà pour vingt florins ?
— Il y en a pour cent cinquante.
En ce qui concerne les oeuvres de charité, l’impératrice a une façon bien personnelle de visiter les orphelinats, hôpitaux et hospices. Elle arrive toujours à l’improviste, accompagnée seulement d’une dame d’honneur, et va droit au fait, se rendant auprès des malades pour vérifier s’ils sont correctement traités et soignés, ou encore se faisant apporter des plats de la cuisine pour les goûter elle-même et dispenser approbations ou critiques. Elle s’entretient longuement avec les malades, se renseignant sur leur situation familiale, et leur apporte quand elle le peut une aide financière et des paroles consolatrices. Elle mécontente de la sorte les administrations autant que les organisateurs de la cour, mais se taille de grands succès auprès des malades.
Quand elle ne provoque pas la cour, elle part en voyage. Que ce soit en Bavière ou en Hongrie, entourée de ses proches ou de ses amis, elle y trouve l’affection dont elle a besoin. Ainsi, à Gödöllö, l’impératrice mène une vie de plus en plus retirée, accaparée par son amour de l’équitation. Elle y a fait construire un manège, près du château, comme jadis son père à Munich : elle y pratique des exercices de haute école. Certains de ses goûts s’exagèrent jusqu’au fanatisme. Son amour de l’exercice physique a quelque chose d’indomptable et devient un défi. Depuis l’enfance, elle a aimé les chevaux ; mais le caractère immodéré que prend cette passion révèle finalement : « Je me sens plus heureuse auprès des chevaux qu’au milieu des courtisans. » Elle met sa fierté à forcer le galop d’une manière dangereuse. Personne n’ose critiquer ce goût extrême. Elle y persiste en dépit des observations de l’empereur, des avertissements des médecins et des hochements de tête de l’entourage. La course vertigineuse de sa monture lui procure une sensation d’activité intense tout en lui assurant la complète solitude. Il faut la douleur physique pour l’obliger à descendre de son destrier.
Sa grande joie, c’est la chasse à courre. L’une de ses nièces racontera sa passion. « On chassait trois fois par semaine. Ah, c’était
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