L'Impératrice indomptée
et le maire de la ville. Une foule nombreuse est tenue à distance. Les habitants du pays de Caux se l’imaginent avec une couronne sur la tête et une belle robe d’or. Juchés sur le talus de la route, ils l’attendent patiemment. Sa voiture doit prendre la route pour se rendre à Sassetot, car la voie de la petite ligne locale est trop étroite pour accueillir les larges wagons du train impérial. Enfin, un cri, répété de proche en proche, se fait entendre : « Les voilà ! » Enveloppés d’un nuage de poussière, les landaus défilent, emportés à une allure rapide par de vigoureux postiers. C’est à peine si les curieux ont la possibilité d’apercevoir, assise dans la première voiture, une femme vêtue d’une robe bleu foncé, coiffée d’un petit chapeau de feutre, qui s’incline gracieusement devant les têtes découvertes. Une fillette est assise à ses côtés. Les Cauchois n’en croient pas leurs yeux : une impératrice habillée si simplement, ce n’est pas possible... Et ils regardent défiler les landaus, attendant toujours, mais vainement, la vision impériale. Seul un superbe Nubien, vêtu d’un rutilant costume rouge et or, tenant en laisse un énorme dogue gris, Shadow, le chien favori d’Élisabeth, leur fait écarquiller les yeux.
Le lendemain de cette sensationnelle arrivée, le bruit se répand que l’impératrice entendra la messe à l’église du village. L’aumônier de Sa Majesté, Monseigneur de Rosnay, est venu la veille en prévenir le curé, qui ne sait comment recevoir une souveraine voyageant incognito. Dès l’aube, la foule prend d’assaut la nef. Le prélat autrichien revêt à la hâte les ornements sacerdotaux, car l’étiquette veut qu’il soit au pied de l’autel quand l’impératrice fera son entrée. Le curé l’accueille sur le seuil, incline la tête et balbutie un compliment. Élisabeth écoute attentivement son discours et y répond avec la grâce incomparable qu’elle a toujours montrée face aux humbles ; puis elle va s’agenouiller sur le prie-Dieu qui lui a été préparé. Le vieux curé, ébahi d’admiration, contemple le recueillement qu’elle affiche.
Comme pour fêter l’événement, le ciel normand se déleste de tout nuage. La mer, qu’elle affectionne tant, est toute proche. Elle descend en landau jusqu’à la plage des Petites-Dalles et y prend son premier bain 6 . Un élégant pavillon, dressé à la hâte, lui sert de cabine. Des toiles formant une sorte de galerie sont tendues de la cabine jusqu’au rivage, afin de la protéger des regards indiscrets de la foule, qui la voit sortir de l’eau, svelte et rieuse (elle a trente-neuf ans). Puis elle regagne le domaine à pied, d’un pas alerte, par une route sinueuse qui monte de la plage au château, sans autre escorte que Shadow gambadant autour d’elle et le Nubien suivant à dix pas. Cette baignade deviendra un rituel quotidien. L’admiration des badauds et la curiosité naïve des habitants amusent Élisabeth qui leur sourit avec bienveillance.
Mais, outre la natation et la marche, elle consacre une grande partie de ses journées à l’équitation, son sport favori. Trois superbes chevaux sont arrivés à Sassetot en même temps qu’elle. L’installation des écuries a d’ailleurs causé beaucoup de soucis à l’intendant, car il sait qu’elle examinera les bêtes en détail avec minutie et compétence. Un vieil écuyer anglais, en qui elle a toute confiance, l’accompagne. Tous les matins, elle part pour une longue promenade sur les chemins creux pleins d’ombre. Elle s’y égare souvent et pique au plus court à travers champs jusqu’aux fermes proches pour demander son chemin. Dans le pays de Caux, les femmes à cheval sont rares et les Normands sont méfiants et peu bavards. Mais, en échange de l’indication désirée, Sissi remercie à chaque fois d’une pièce d’or. Cette pratique se sait vite dans la région et l’on guette le passage de la dame de Sassetot avec la vague espérance d’être interrogé... et récompensé. Mais ses grandes chevauchées dans la campagne environnante ne font pas que des heureux. Les paysans protestent contre cette étrangère qui saccage leurs cultures. Face aux désagréments et pour éviter des complications, l’intendant prévient alors les maires des communes voisines qu’ils seront généreusement dédommagés pour les dégâts commis.
C’est au cours de ce séjour à Sassetot qu’Élisabeth
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