L'Impératrice indomptée
vie » avait gardée sur ses traits rigides. Elle n’a pas cru à sa démence. « Ce qu’on tient pour dangereuse folie, dit-elle, est au contraire sagesse profonde. » Le « sombre nuage » qui plane au-dessus de sa famille lui paraît de plus en plus menaçant. La mort de Louis lui suggère des pressentiments, des visions terribles. Le voile noir qui cachait le Destin vient de se déchirer. Rien n’est l’effet du hasard ; tout dans le drame qui se joue près d’elle a un sens profond. Louis devait succomber, devait trouver la mort dans le lac de Starnberg. « La pensée de la mort m’accompagne jour et nuit, dit-elle. Comme un jardinier, elle prépare et nettoie le jardin de notre âme. Mais il faut être seul en face d’Elle ; Elle ne livre ce jardin à aucun oeil indiscret... Je tiens un écran devant mon visage afin qu’elle puisse travailler en toute tranquillité. » Elle portera longtemps sur elle une photographie du masque pris sur le roi mort.
Pour essayer d’oublier son chagrin, Élisabeth se jette avec passion dans l’étude du grec, avec un jeune professeur, Christomanos. Ce maître de grec est choisi non pas par la souveraine, mais par quelqu’un de la cour, alors qu’il étudie à l’Université de Vienne. Originaire de Macédoine, il est, en même temps que bon helléniste, un excellent marcheur, conditions indispensables pour les fonctions qu’il doit remplir : l’impératrice l’entraîne avec elle, disons plutôt derrière elle, dans ses longues promenades, pendant lesquelles il est obligé non seulement de la suivre, mais encore de lui lire, en les traduisant, des passages entiers d’Homère.
Constantin Christomanos a laissé des témoignages précis. Lors de leur première entrevue, il note : « Soudain, elle fut devant moi sans que je l’eusse entendue venir, svelte et droite... Sa tête se détachait sur le fond d’une ombrelle blanche irradiante de soleil, d’où naissait une sorte de nimbe vaporeux autour de son front. De la main gauche, elle tenait un éventail noir légèrement incliné vers sa joue. Ses yeux d’or clair me regardaient fixement... Comme elle ressemblait peu à tous les portraits que je connaissais ! Je me trouvais devant une apparition des plus idéales et des plus tragiques de l’humanité... » Ce lecteur, qui paraît épris, la confond avec les déesses : « Je reconnaissais que les sources à son approche chantaient d’autre sorte, que les contours des rochers s’infléchissaient en pures lignes de beauté, que les pierres elles-mêmes exhalaient un odorant souffle, que les feuilles des arbres, à son apparition, tressaillaient, comme lorsqu’elles attendent le soleil, et, désolées, s’affaissaient quand elle s’éloignait !... » Chaque soir, la somptueuse « voiture de soie » traînée par des chevaux blancs ramenait au château forestier notre étudiant ; il ne vivait plus (il le dit lui-même) que pour les heures où il retrouvait l’impératrice « noire et élancée tel un cyprès, qui s’élevait au-dessus de tout ». Élisabeth traduit Hamlet , Le Roi Lear , La Tempête de Shakespeare en grec. Elle adore cette langue : « Quand les Hellènes parlent, c’est de la musique », dit-elle.
Selon Constantin Christomanos : « Quand elle écrit, toute son attitude est d’une grâce puérile qui contraste avec sa tenue habituelle, si majestueuse. Elle écrit très vite, elle crispe ses doigts sur la plume, sans doute par une habitude d’enfance qu’elle n’a conservée que parce que ses professeurs l’en grondaient. Elle fait aussi de gros pâtés d’encre violette, la seule avec laquelle elle écrive et qu’elle puise d’un encrier d’or ; de minces feuilles de papier buvard sont semées tout autour sur la table, et elle en sèche chaque page en frappant dessus de son poing fermé. Elle regarde fixement le papier et la pointe de la plume, et c’est comme si elle voulait forcer sa plume à écrire finement et proprement ; mais les lettres impétueuses jaillissent et se bousculent, libérées de toute convention. » « Ma mauvaise écriture vous étonne, dit un jour Élisabeth à son jeune lecteur. Elle est comme moi et ne veut pas se laisser subjuguer. »
Bientôt, la santé du duc Max de Bavière inquiète l’impératrice. Son père a quatre-vingt-un ans et ses forces commencent à décliner. Au premier signe d’affaiblissement, elle accourt à son côté, au château de Possenhofen.
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