L'Impératrice indomptée
bourgeoise. Dès le début, la cour impériale et toutes les cours d’Europe connaissent sa position. Pour des raisons politiques et pour contrer l’expansionnisme prussien, François-Joseph décide que son héritier épousera une princesse belge. Un bon mariage lui permet de tendre la main, droit devant lui, jusque de l’autre côté de l’Allemagne, et la dynastie belge accepte le mariage « ... car elle considérait alors la Prusse comme son pire ennemi ».
Rodolphe, conscient de l’efficacité politique d’un tel mariage, va voir la jeune fille qui lui est proposée, mais, âgé de vingt-deux ans, il n’y va pas seul. Il emmène avec lui sa maîtresse, la danseuse Mizzi Kaspar. L’histoire ne dit pas où se trouve Mizzi quand Rodolphe rend visite à sa future fiancée, la princesse Stéphanie. Le mariage entre l’Autriche et la Belgique se fait au moment opportun. Le jeune homme semble insatisfait de Stéphanie et sa mère affecte d’ignorer la jeune fille. Le jour des noces, le jeune fiancé montre quelque découragement. Il s’effondre devant une vieille amie de sa mère, et l’implore : « Au nom du ciel, dites-moi quelque chose de gentil. » Dans les années qui suivirent, cette dame d’honneur pensera souvent à ce visage tiré, pâle, aux yeux furtifs comme ceux d’un animal traqué.
C’est ainsi qu’en mai 1881, Rodolphe épouse Stéphanie, fille du roi des Belges et soeur de Louise qui est la femme de Philippe de Cobourg, ami intime et compagnon de chasse de Rodolphe. Pour Sissi, ce mariage est un calvaire. À midi, tandis que toutes les cloches carillonnent, elle voit dans l’église des Augustins sa belle-fille s’agenouiller à la place où, vingt-six ans auparavant, elle a reçu sa bague de noces. Elle ne quitte pas des yeux les deux enfants qui reçoivent la bénédiction nuptiale. Dans son coeur, il n’y a aucune gaieté. Elle sait que rien ne rapproche ces deux êtres qu’elle sent tragiquement distincts l’un de l’autre. Elle redoute les lendemains de ce mariage sans amour. Elle éclate en sanglots quand le prince Schwartzenberg donne sa bénédiction. François-Joseph, énervé, se retourne vers sa femme, offrant les signes d’une violente impatience. Rodolphe et Stéphanie se détournent également. C’est dans la même église qu’ont eu lieu les unions par procuration de Marie-Louise et de Marie-Antoinette, les deux archiduchesses qui, à un titre ou à l’autre, ont régné sur l’empire de France et dont le destin a été douloureux.
Heureusement, l’antipathie que Rodolphe a éprouvée pour Stéphanie quand il a dû tenir ses promesses de fiançailles et épouser cette fille peu gracieuse va s’atténuer et la jeune femme se prend parfois à espérer sincère l’affection que lui témoigne son mari dans ses lettres. Le 2 septembre 1883, un dimanche, à sept heures du matin, celle-ci met au monde un enfant. Après avoir tiré le vingt et unième coup, les gueules des canons se taisent. Stéphanie s’écroule sur ses oreillers, comme l’a fait Sissi lors de ses accouchements. Rodolphe baisse la tête. Dieu n’a pas voulu leur donner l’héritier attendu qui assurerait la permanence de la vieille dynastie. La venue d’un garçon aurait clarifié les rapports entre les deux époux. Rodolphe, obscurément, en veut à Stéphanie. Pourtant, il trouve le courage de se pencher sur la jeune mère et de lui dire : « Cela ne fait rien. Une fille est beaucoup plus aimante qu’un garçon ! »
Mais la morbidité gangrène le prince héritier. À l’âge de vingt et un ans, il a déjà rédigé ses dernières volontés et son testament – il y en a au moins deux. À mesure qu’il avance en âge, il connaît souvent des moments de désespoir. Exalté et profondément dépressif, on sait peu qu’il faillit même tuer son père. En 1886, lors d’une partie de chasse à Höllgraben, près de Mürzsteg, il prend place à côté de François-Joseph. Un troupeau de daims est rabattu devant eux. Rodolphe tire, et quand les daims sont à une bonne distance, il s’écarte, en dépit de toutes les règles, et tire un autre coup. La balle blesse au bras le porte-fusil de son père, Martin Veitschegger, « manquant de quelques centimètres la tête de son père ». L’incident est passé sous silence. Mais l’empereur est si en colère qu’il refuse pendant longtemps de parler à son fils. Finalement, c’est l’impératrice qui favorise la
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