L'Impératrice indomptée
se servait plus de ce mot que pour désigner ce qui lui paraissait digne de son mépris. Il faut aussi prévenir la femme de Rodolphe, la princesse Stéphanie. C’est au beau milieu d’une leçon de chant que sa première dame d’honneur vient l’interrompre. « Je compris que la catastrophe redoutée depuis si longtemps avait eu lieu », écrit-elle dans son journal. « Peu de temps après, je fus convoquée chez l’empereur. L’impératrice se tenait à ses côtés. Ils me soumirent à un feu roulant de questions. J’avais l’impression qu’ils me considéraient comme une criminelle. » Cependant, depuis deux jours, la baronne Vetsera cherche partout sa fille qui a disparu. Elle a même alerté le chef de la police et le Premier ministre. Brusquement, on lui apprend la mort de Marie. À ce moment, François-Joseph espère encore faire accepter au public une version selon laquelle le prince a été empoisonné par sa maîtresse. Il convient donc que la baronne Vetsera soit traitée comme la mère d’une criminelle. Elle n’est autorisée ni à voir la dépouille de sa fille ni à assister à son enterrement. Elle reçoit l’ordre de quitter Vienne sur-le-champ et de se fixer à Graz.
Le 31 janvier, à cinq heures du matin, le docteur Widerhofer présente son rapport à l’empereur : il nie catégoriquement l’hypothèse de l’empoisonnement et affirme que la jeune fille est morte une dizaine d’heures avant le prince. Après l’examen, le corps de Marie Vetsera est transporté dans un hangar à bois où il reste pendant deux jours. On ne prend pas la peine de le couvrir. Les vêtements et les objets personnels de la jeune fille trouvés dans la chambre tragique sont brûlés. Enfin, deux de ses oncles viennent l’envelopper d’un manteau de fourrure. Un chapeau cache la blessure de sa tête. Puis, plaçant le cadavre dans leur voiture, les deux hommes roulent toute la nuit jusqu’au couvent de Heiligekreutz. Un cercueil y est préparé à la hâte. La tombe aussi est prête. Mais on n’a pas eu le temps de la creuser très profonde.
Quant à Rodolphe, la version du suicide s’étant vite répandue, on se borne à lui bander la tête avant de l’exposer aux yeux de la foule. La balle qui l’a tué ayant emporté le haut du crâne, on avait d’abord pensé ne présenter qu’un masque en cire fixé à un mannequin. Le pape admet que l’héritier de l’empire a agi dans un moment de folie. Il autorise les funérailles religieuses. Elles se déroulent dans la plus grande pompe. Une nuée de princes étrangers et de parents royaux s’abat sur Vienne. Avec ses bannières noires, ses drapeaux en berne, ses draperies funéraires à l’extérieur des églises, on dirait une cité livrée aux morts, une ville que le légendaire corbeau noir des Habsbourg aurait couverte tout entière de ses ailes. Ni Élisabeth ni Marie-Valérie n’assistent aux funérailles ; l’empereur s’y rend avec sa fille aînée Gisèle, le seul membre de la famille vraiment proche de Rodolphe.
Ceux qui assistent au service dans la crypte n’oublieront jamais le moment où le cercueil est descendu dans le caveau : la discipline de fer que s’est imposée l’empereur cède aux sanglots d’un père qui vient de perdre son fils unique. « Jusqu’alors je m’étais contenu, avoua François-Joseph plus tard à sa femme. Ce n’est que dans la crypte que je n’ai pu tenir plus longtemps. » Pendant cette semaine de vigiles des morts et de messes de requiem, il semble que la tradition espagnole des Habsbourg a pris possession de la Hofburg et peuplé le palais des fantômes de l’Escorial, Charles Quint, Philippe II et le prince fou, don Carlos. « Où avons-nous failli ? » se demandent les malheureux parents de Rodolphe. La réponse est un héritage trop lourd, qui les a accablés. Élisabeth passe ses nuits sans dormir, à se torturer l’esprit. Elle a accueilli cette tragédie vaillamment, mais elle ne se remettra jamais tout à fait de cette secousse.
Mme Vetsera, mère de Marie, envoie à Élisabeth les derniers messages de sa fille, des lettres à son frère, à sa mère et à sa soeur. Elles disent :
« Adieu, cher frère, je continuerai à veiller sur toi de l’autre monde, car je t’aime tendrement.
Ta soeur dévouée. »
« Chère mère,
Pardonne-moi ce que j’ai fait. Je ne peux pas résister à mon aimé. Je désire être enterré à son côté dans le cimetière d’Alland.
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