L'Impératrice indomptée
l’agitation dont elle souffre, à l’impossibilité de trouver le repos.
Élisabeth quitte l’Autriche aussi souvent et aussi longtemps que possible, pour des destinations de moins en moins précises. L’empereur n’ose émettre que de très prudentes réserves : « Si tu penses que cela est nécessaire à ta santé, je ne dirai rien, bien que cette année, depuis le printemps, nous n’ayons pas été ensemble plus de quelques jours », lui écrit-il. L’impératrice ne passe à Vienne que quelques semaines par an ; d’ailleurs, elle ne s’y consacre ni à la charité ni à la représentation, car elle s’isole totalement. Elle se sent abandonnée. Sa jeunesse a fui et bientôt sa fille partira à son tour, car les prétendants ne lui manquent pas. Marie-Valérie paraît avoir fixé son choix sur l’archiduc François-Salvator, un Habsbourg de la branche toscane. Que reprocher au jeune homme ? Rien, sinon qu’il lui vole ce qu’elle aime le plus au monde.
Son équilibre en paraît ébranlé. En voyage, son comportement devient de plus en plus étrange. Même sa loyale Marie Festetics écrit de Corfou à Ida Ferenczy en novembre 1888 – avant même l’ébranlement provoqué par la tragédie de Mayerling : « Je me sens oppressée, ma chère Ida, par ce que je vois et entends ici. Sans doute Sa Majesté se montre-t-elle toujours gentille quand nous sommes ensemble et me parle-t-elle comme par le passé. Mais elle n’est plus la même, une ombre flotte sur son âme. Je ne vois pas d’autre expression, car lorsqu’un être humain, par paresse ou par malice, réprime et refuse tout sentiment beau et noble, il ne peut s’agir que d’amertume ou de cynisme ! Crois-moi, mon coeur pleure des larmes de sang ! [...] Avec cela, elle commet des actes qui ne heurtent pas seulement le coeur, mais aussi la raison. Hier matin, il faisait mauvais, et pourtant elle est sortie en voilier. Vers neuf heures, il s’est mis à pleuvoir à verse, et cette bourrasque ponctuée de coups de tonnerre terrifiants a duré jusqu’à trois heures de l’après-midi. Pendant tout ce temps-là, elle n’a cessé de naviguer autour de nous, assise sur le pont, son parapluie ouvert et toute trempée. Après quoi, elle a débarqué je ne sais où, a demandé sa voiture et a voulu passer la nuit dans la villa de quelqu’un ; tu imagines à quel point nous en sommes arrivés. Dieu merci, le médecin l’accompagne partout, mais on peut s’attendre à des choses plus invraisemblables encore. »
Élisabeth aspire toujours davantage à la mort, ce qui afflige tout le monde, sa famille comme les dames d’honneur. Marie-Valérie rapporte : « Maman ne sera sans doute plus jamais comme avant ; elle envie Rodolphe de ne plus être de ce monde et songe jour et nuit à la mort. » Un mois plus tard : « Maman dit qu’elle est trop vieille et trop lasse pour lutter, que ses ailes sont brûlées et qu’elle ne souhaite que le repos. Il n’y aurait pas, selon elle, d’action plus noble pour des parents que de faire mourir aussitôt chaque nouveau-né. » La mort de Louis II, les querelles qui l’ont suivie, l’idylle de Marie-Valérie, tout contribue à la névropathie. Son mari, ses enfants sont bien incapables de la retenir. Elle se sent déprimée. Elle erre au hasard, à travers l’Europe, cherchant partout sa jeunesse perdue. Prendre les eaux de Gastein ? Ce serait mauvais pour ses nerfs, affirment les médecins. Aussitôt après, elle s’en va à Herculesbad, petite ville d’eaux magnifique, située haut dans les Carpates. Et elle s’y lie d’amitié avec Carmen Sylva, la reine de Roumanie. Elle a l’impression d’être une charge pour l’empereur, elle parle de se retirer du monde ; elle voudrait mourir. Parfois, elle éclate de rire et propose qu’on l’interne dans une maison de santé. Tantôt elle travaille passionnément la langue et la littérature grecques, tantôt elle sombre dans une torpeur et une apathie absolues. Toujours la même question revient, lancinante : « Pourquoi, mon Dieu, pourquoi Rodolphe s’est-il tué ? »
Poursuivant ses pérégrinations, l’impératrice visite la Sicile, Messine, Palerme, Malte, Tunis, les ruines de Carthage. Elle rentre à Vienne au début de décembre. Le 30 janvier 1890, à l’occasion du premier anniversaire de la mort de Rodolphe, elle fait un pèlerinage à Mayerling, qu’elle ne connaît pas. Le pavillon de chasse est maintenant un
Weitere Kostenlose Bücher