L'Impératrice indomptée
Je serai plus heureuse dans la mort que dans la vie. »
« Chère soeur,
Nous partons joyeusement pour la vie d’au-delà du tombeau. Pense à moi quelquefois et ne te marie que par amour. Il ne m’a pas été possible de le faire et comme je ne puis résister à mon aimé je m’en vais avec lui,
Marie.
P.S. – Ne t’attriste pas, je suis heureuse. Le pays ici est magnifique et me rappelle Schwarzau. Te souviens-tu de la ligne de vie sur ma main ? Adieu encore une fois. Le treizième jour de janvier de chaque année dépose une fleur sur ma tombe. »
Élisabeth renvoie ces lettres accompagnées d’une photographie de Mayerling, où l’une des fenêtres est marquée à l’encre d’une croix noire. L’ultime message que Rodolphe lui a adressé à elle-même est un billet accompagnant ce cliché et disant : « Quand tu recevras ceci, je serai mort. » Élisabeth elle-même respecte le triste désir exprimé dans la lettre de Marie et, chaque treizième jour de janvier, dépose sur la tombe une fleur blanche odorante. Elle devra batailler pour que la tombe de Marie soit transférée en terre consacrée, dans le cimetière du village voisin de Mayerling.
Le 9 février 1889, elle sort voilée de la Hofburg, hèle un fiacre, se fait conduire au couvent des Capucins et demande à descendre seule dans la crypte où repose depuis quatre jours son fils. Par deux fois, elle crie : « Rodolphe ! Rodolphe ! » Sa voix résonne, sépulcrale, dans le silence... Personne ne répond... François-Joseph accepte cette tragédie comme il accepte toutes celles de sa vie... comme l’oeuvre d’un Dieu dont les voies sont impénétrables et tendent, malgré les apparences, au bien du monde. Il la considère sans doute comme un châtiment à cause des intrigues probables de Rodolphe avec les ennemis de l’empire en Hongrie. Mais il y en a beaucoup qui voient dans la mort du prince l’accomplissement d’une malédiction. François-Joseph a souffert et souffre par ceux qui lui sont le plus chers.
Élisabeth a le coeur brisé. Il n’y a aucun doute que cette mort, encore plus que celle du duc Max, va demeurer comme la vraie tragédie de sa vie. Rodolphe a pris la sortie « des lâches ». Elle a souvent songé à la mort en tant qu’évasion, mais jamais à la mort de sa propre main. Rodolphe représentait le devoir qu’elle avait accompli envers la monarchie. Elle a souffert pour le mettre au monde, elle a souffert pour lui, mais s’est réjouie de cette souffrance dans la conviction qu’il deviendrait un jour un grand homme et un grand monarque. Désormais, elle a perdu toute raison de vivre. Ni l’amour, ni l’intérêt, ni la responsabilité, rien ne peut plus la distraire et lui faire oublier ce tragique souvenir. Son opinion sur la mort de Rodolphe sera fluctuante. Elle dira un jour qu’il « a été finalement le plus grand philosophe. Il a tout eu, jeunesse, richesse, santé, et il a tout abandonné ». À d’autres moments, elle considérera son suicide « comme une telle honte, qu’elle voudrait cacher son visage du regard de tous les humains ».
L’empereur est désolé de la voir ainsi. Dans ses lettres à Catherine Schratt, il raconte les repas sinistres au cours desquels Élisabeth, sans raison apparente, fond soudain en larmes et quitte la pièce en sanglotant : pour lui, c’est presque un soulagement que de se rasseoir à son bureau pour se replonger dans le travail. Aucun subterfuge n’existe pour l’impératrice.
XIV
SPLEEN
L ES ANNÉES PASSENT , rapides et silencieuses. À la recherche d’une liberté illusoire, Élisabeth renonce à s’évader à Possenhofen. Toutes ses échappées se réduisent à fuir son propre tempérament, ses propres réactions envers les gens et les choses, à se fuir elle-même. Certes, il y a de courtes croisières avec l’empereur sur son yacht, le Greif , en écoutant la musique d’un orchestre hongrois que Sa Majesté a commandé pour son plaisir à elle. La destination ? Le cap Martin, pour rendre visite à l’élégante et pittoresque vieille impératrice Eugénie, et louer une villa voisine de la sienne. Napoléon III est mort ainsi que leur fils unique. Eugénie n’est plus l’impératrice des Français. Encore une dynastie écroulée.
Comme l’a prophétisé Louis, Élisabeth reste éternellement jeune et belle. Son narcissisme est l’un des éléments de sa personnalité. N’a-t-elle pas elle-même écrit : « La
Weitere Kostenlose Bücher