L'Impératrice indomptée
vie perdra pour moi toute valeur le jour où je cesserai d’être désirable. » Combien de fois a-t-elle défié le sort par ces mots ? Une des descriptions les plus exactes et les plus détaillées a été laissée par Walburga Paget, l’épouse, née allemande, de l’ambassadeur britannique à Vienne. Dans ses mémoires, celle-ci dit l’impression que lui fit l’impératrice lors d’une audience, avant le premier bal de la cour de la saison de carnaval 1883. Debout, dans la galerie des glaces sous un énorme lustre brillant de centaines de bougies, l’impératrice semble défier et la critique et le temps : « Elle ne paraît pas plus de trente-deux ans, écrit l’ambassadrice, et on a grand-peine à se représenter que, si sa fille aînée n’était pas morte, elle pourrait être aujourd’hui une arrière-grand-mère... Elle est très grande, mais ne le paraît pas à cause de son excessive minceur. Elle n’est pas seulement svelte de taille, elle a la poitrine et les épaules étroites et elle accentue la minceur de ses hanches en portant des robes très serrées à la taille, et sans un pli, contrairement à la mode actuelle... [ce soir-là], elle portait une énorme couronne de diamants et d’émeraudes, avec une partie de ses cheveux châtains, très souples, enroulée en dedans et autour de la couronne, et le reste pendant au milieu du dos en lourdes boucles qui, bien que seyant à son visage, diminuent sa taille et font paraître sa tête un peu grande pour l’ensemble du corps. Ses yeux sont bruns, avec une charmante expression enfantine, et quelque chose d’éperdu. Ses lèvres, très rouges, sourient tranquillement : elle les tient toujours closes parce qu’elle a, comme toute sa famille, des dents sans éclat. Son teint est plutôt hâlé par l’abus des courses en plein air, mais elle a une jolie pointe de rose sur ses joues... Autour de sa gorge, sur son corsage, et autour de sa taille, elle portait des rivières d’émeraudes et de diamants. » Telle est la façade qu’Élisabeth présente au monde, mais intérieurement, elle tremble de nervosité : d’où ce regard éperdu et ces yeux de biche prise au piège.
Physiquement, elle n’est guère brillante. Avec la quarantaine, Sissi commence à souffrir de rhumatismes et il est souvent question de sa sciatique chronique. On accuse les marais d’Irlande, les chasses à courre, le surmenage sportif... Au lieu d’y renoncer, elle redouble d’activité physique. Son sport favori reste la marche à pied. Elle ne cesse d’en louer la pratique : « Les Bourbons n’ont pas l’habitude de se servir de leurs jambes ; ils ont une allure caractéristique qui ressemble au dandinement de l’oie ; ils se pavanent royalement... Mes soeurs et moi, nous devons notre endurance à la marche, à notre père. Il nous a appris à marcher : on doit, à chaque pas, se délasser de l’enjambée précédente... Les pieds ne doivent pas traîner sur le sol... Je ne connais pas la fatigue. Mes soeurs Sophie et Marie sont célèbres à Paris pour leurs longues promenades. Hélas, nous ne marchons pas comme des reines... » Il arrive fréquemment à l’impératrice de faire des randonnées de cinq heures.
Elle se remet aussi avec ardeur à l’escrime féminine, à l’aide de son professeur. Elle se livre à ce sport en jupe grise, avec une petite cuirasse et des gants. Une sciatique passagère la cloue au lit, mais elle repart de plus belle suivant les conseils d’un médecin hollandais qui lui prescrit des massages quotidiens. Élisabeth ne renonce pas à ses marathons dans le vent et sous la pluie. Elle loue ainsi une villa à Zandvoort, sur la mer du Nord. Les journées sont longues, elle recommence à écrire des vers. Sa fille Marie-Valérie l’y encourage. Le fait est que l’impératrice n’a guère de talent, mais la poésie est son passe-temps favori ; d’interminables heures se passent en rêveries et divagations.
Incontestablement, c’est Heine qui, pour une large part, lui inspire ce goût pour la mer du Nord ; Heine, dont elle a toujours un recueil de poèmes à son chevet ; Heine, en qui elle se reconnaît. Mais les vers qu’elle compose elle-même en se promenant dans les marais et en regardant les sternes et les mouettes voler au-dessus des dunes, ressemblent moins à du Heine qu’aux rimes et couplets qui ornent les mirlitons ou les calendriers de Noël. Ceux-ci reviennent toujours au même thème : à
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