L'Impératrice indomptée
voilà maintenant soulagée de ma présence et délivrée de vos tourments. Soyez heureuse à votre façon. Soyez bonne pour l’enfant qui est tout ce qui reste de moi... Je vais à la mort avec calme. La mort seule peut sauver mon honneur. Je vous embrasse. » Mais la lettre d’adieu la plus affectueuse que Rodolphe laisse, c’est à Mizzi Kaspar qu’elle est destinée. Celle-là, il l’a écrite dès le 28 janvier au matin, ce qui prouve bien que sa décision de mourir n’est pas subite. Peu de temps auparavant, il lui a fait un présent de 60 000 florins, pour qu’elle puisse acheter une maison. Mais à partir d’ici, le mystère reste entier.
Il se retire dans sa chambre. Bientôt, un coup de feu. Mais dix heures s’écoulent entre le coup de pistolet qui tue Marie Vetsera et celui que Rodolphe dirige contre lui-même, et l’on ne peut qu’imaginer ce qui s’est passé pendant ces dix heures de tête à tête entre l’archiduc et la morte qu’il n’a même pas aimée. Fut-il pris de doute ou de remords, alors qu’il était déjà trop tard pour reculer ? Manqua-t-il de courage pour achever son geste ? Ou bien, est-ce le goût du macabre qui le fit prolonger cette invraisemblable situation ? Quand enfin, il tourne contre lui son arme, Marie appartient déjà à un tout autre monde. Son corps est froid et rigide.
Le 30 janvier 1889, vers 6 h 30 du matin, le prince Rodolphe sort tout habillé de sa chambre et appelle Loschek, son valet. Il lui ordonne de l’éveiller une heure plus tard et de lui tenir prêts son petit déjeuner et un fiacre. Puis, il rentre dans sa chambre. À 7 h 30, Loschek frappe à la porte du prince. Pas de réponse. Il frappe plus fort. Pas de réponse. Pendant vingt minutes, il tambourine à coups de poing, puis avec un morceau de bois. Toujours rien. Il se décide alors à appeler le comte Joseph Hoyos qui loge dans un pavillon voisin.
— Impossible de réveiller Son Altesse, dit Loschek.
— C’est sans doute qu’il dort profondément, répondit le comte.
Mais quand le valet lui explique ce qui se passe depuis une demi-heure, le comte change d’avis. « J’étais bien embarrassé, expliqua-t-il plus tard. J’ignorais tout de l’intimité du prince avec la baronne Vetsera et de la présence de celle-ci à Mayerling. C’est Loschek qui me révéla l’une et l’autre. Je ne savais que faire. À 8 h 10, le prince de Cobourg, beau-frère de Rodolphe, arriva et après une courte délibération nous prîmes sur nous de faire enfoncer la porte. Nous avions chargé Loschek d’entrer le premier dans la chambre et de nous rendre compte de ce qui s’y passait. Il en sortit affreusement pâle et nous déclara que les deux occupants étaient morts. Fallait-il appeler un médecin ? Ni l’un ni l’autre ne donnant plus aucun signe de vie, nous ne le jugeâmes pas opportun. »
Reste à apprendre la nouvelle à l’empereur. Au palais impérial, où se rend immédiatement le comte Hoyos, chacun s’efforce de se décharger de cette mission. On se résout enfin à prendre l’impératrice comme intermédiaire, et Ida Ferenczy s’en charge. En fait, c’est le comte Bombelles, surintendant de la maison du Kronprinz , qui est le premier informé ; après lui, l’aide de camp de l’empereur, le comte Paar. Il conseille de prévenir d’abord l’impératrice. Le baron Nopcsa, son surintendant, devrait s’acquitter de ce pénible devoir mais il ne peut s’y résoudre. Les dames d’honneur essaient de préparer la souveraine. Puis, Hoyos pénètre chez elle. Les minutes qui suivent sont certainement les plus douloureuses de la vie d’Élisabeth. L’empereur, ignorant tout, est assis dans son bureau, une pièce étroite, tapissée de rouge foncé qui donne sur la cour intérieure du château. Qui se chargera de lui apporter l’affreuse nouvelle ? Une heure s’écoule avant que l’impératrice prenne une décision. Il est au-dessus de ses forces d’informer seule son mari du malheur qui les frappe, elle fait mander la pensionnaire du théâtre de la Hofburg, Mme Catherine Schratt, la seule femme qui soit proche du coeur de François-Joseph, et elle pénètre dans le bureau impérial...
Sur le moment, la nouvelle n’afflige pas François-Joseph outre mesure, mais la peur du scandale le rend furieux : « Mon fils est mort comme un tailleur », s’écrie-t-il. Quelques années plus tôt, un tailleur avait essayé de le tuer et, depuis, il ne
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